Chapitre 7

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C'est l'odeur du pain grillé qui réveille Léa aux alentours de dix heures du matin. Elle ne sait plus très bien où elle est. Le lit sur lequel elle est allongée, les rideaux tirés, le ventilateur qui tourne paresseusement au plafond, tout lui est étranger. On frappe doucement à la porte et la voix d'un homme se fait entendre. 

— Je peux entrer ? 

Henri. Henri Laville, Enzo, la clinique, la fatigue, l'appartement squatté par Malik et ses chiens de garde ... Le fil de la journée de la veille lui revient en pleine poire comme un boomerang. La parenthèse d'oubli offerte par un sommeil sans rêve s'achève. Il faut revenir à la réalité et ce n'est vraiment pas de gaieté de cœur. A nouveau trois coups à la porte. Léa tire la couverture jusqu'à son menton pour cacher son corps dénudé et répond. 

— Oui, entrez. 

Le père d'Enzo, rasé de près, élégamment vêtu, entre dans la chambre avec un plateau garni de jus d'orange, de tartines et de croissants. A plus de soixante-dix ans, il n'a rien perdu de ce qui faisait son charme par le passé. Il est l'incarnation de l'homme mûr capable de faire craquer aussi bien les adolescentes en quête de papa érotisé que les mamies nostalgiques des stars de cinéma de leur jeunesse. Un mètre quatre-vingt-dix de prestance, mince, les cheveux d'un blanc immaculé, et surtout de magnifiques yeux bleus qui capturent la lumière et la restituent en toute circonstance en mille éclats fascinants. Les mêmes que ceux d'Enzo. Avec de tels arguments il aurait pu basculer dans le côté « vieux-beau » mais non. Henri ne s'est jamais préoccupé de son apparence physique, préférant de loin entretenir sa soif de connaissance que son image. Non seulement il n'a aucune conscience de son charme mais Léa s'est toujours demandée, amusée, s'il n'aurait pas préféré avoir un physique moins avantageux. A l'instar d'un Jean-Paul Sartre ou d'un Cocteau, qui séduisaient par la brillance de leur esprit. C'est sans doute cela qui rend Henri irrésistible. 

 — Voulez-vous un café, un thé ou du chocolat ? 

— Café fort. Merci. 

Henri Laville dépose le petit déjeuner qu'il a préparé sur la table de nuit et entrouvre un peu les rideaux pour laisser entrer la lumière du jour. 

 — Excusez-moi de vous avoir réveillée mais je dois prendre le train à midi. Je suis dans l'obligation de retourner chez moi à Toulouse. 

 — Vous n'habitez pas ici ? demande Léa. 

— Non, c'est l'appartement d'Enzo. Lorsque le docteur Leko m'a appelé pour me dire que les jours de mon fils étaient comptés, plutôt que d'aller à l'hôtel j'ai préféré m'y installer. Cela remonte à trois semaines. 

 — Ça n'a pas dû être facile. 

 — Effectivement, mais bizarrement j'ai toujours espéré qu'il se passerait quelque chose. Je ne sais pas ...un miracle. Un sourire presque gêné se dessine sur les lèvres d'Henri à cette évocation. 

— Les miracles n'existent pas, rétorque Léa. 

Les lèvres d'Henri se crispent en une moue dubitative et il quitte la pièce sans ajouter un mot. A nouveau seule dans la chambre, la jeune fille éprouve son corps martyrisé par les tensions endurées la veille. Les douleurs dans sa nuque lui rappellent le traitement infligé à ses cervicales par la " main-étau" du black aux dents pourries en bas de chez elle. Une bouffée d'angoisse saisit immédiatement l'occasion pour lui tordre les boyaux. Elle soupire, ses problèmes qui refont surface lui paraissent insurmontables. Depuis qu'Enzo a quitté sa vie du jour au lendemain sans laisser de traces elle a fait le dos rond, laissant les ennuis glisser sur elle, évitant soigneusement de s'y confronter. Son apparent courage, sa prétendue force de caractère n'étaient qu'une carapace pour repousser les problèmes au loin. Elle le sait bien. Aujourd'hui, alors qu'elle doit faire face à une situation difficile, elle s'en rend d'autant plus compte. Elle est désarmée. Pensive, Elle jette un regard autour d'elle et réalise pour la première fois qu'elle vient de passer la nuit dans le lit d'Enzo. Jamais elle ne s'est sentie aussi perdue. A l'angoisse succède une sorte de panique irraisonnée. Elle se lève d'un bond et enfile ses vêtements avant de rejoindre rapidement Henri dans la cuisine, un goût amer dans la bouche. 

Avant de partirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant