Chapitre 33

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Le silence qui règne dans la chambre ajoutée à la semi obscurité concourt à l'impression qu'éprouve le visiteur de se trouver dans un lieu sacré. En quelques heures l'endroit est passé de tombeau probable à chapelle miraculeuse. Ceci explique sans doute pourquoi Claudie Desjours s'avance avec tant de retenue, elle qui se comporte habituellement en véritable tornade. Sa fille Léa a repris connaissance. Le docteur Girard le lui a annoncé hier soir par téléphone. Face à cette réalité bouleversante que peut-elle faire d'autre que de commencer à croire en Dieu et tous ses Saints ? Ce ne sera pas la première fois qu'elle change de conviction. Ceux qui la connaissent vous dirons que c'est une habitude chez elle de passer soudainement d'un état à un autre, d'une action à une autre, d'une vie à une autre. Cela lui a d'ailleurs coûté cher dans sa relation avec sa fille. Mais pour l'heure tout est oublié. Seuls comptent les mots du médecin :
« Léa est sortie du coma. Il est un peu tôt pour se prononcer mais elle a de bonnes chances de s'en sortir sans séquelles ».
Claudie s'approche, les larmes aux yeux, et prend place sur une chaise à côté du lit. 

─ Ma chérie, c'est moi. Comment te sens-tu ? demande-t-elle à voix basse. 

─ Fatiguée, articule difficilement Léa qui n'est plus intubée depuis quelques heures seulement.

─ Regarde qui est là. 

Le petit garçon de deux ans qui l'accompagne lâche la main de sa grand mère pour se rapprocher de sa maman. 

─ Michaël... mon amour, j'ai eu si peur... 

Léa parvient à passer une main hésitante dans les cheveux de son fils. De grosses larmes perlent sur ses joues encore marquées des stigmates de l'accident. 

─ Il va bien, annonce Claudie qui sent qu'elle ne va pas tarder à craquer elle aussi. 

Léa embrasse les petits doigts qui se sont posés sur son visage autant qu'elle le peut. Elle voudrait ne plus jamais les desserrer. Spectatrice privilégiée de ce moment merveilleux, Claudie se libère de sa pudeur dans un sanglot. 

─ Ah merde, tu sais que je déteste pleurer ! s'excuse-t-elle dans un mélange de rire et de larmes mêlés. 

─ Mama ! T'étais où ? lance à la volée le petit garçon qui ne comprend pas tout ce qui se passe dans cette chambre obscure. 

─ Trop loin de toi mon bébé, sanglote Léa. Je suis là maintenant. 

De son trou noir, Léa n'a gardé que la sensation d'un épais voile sombre déchiré par l'espoir de retrouver son fils en bonne santé. 

─ Oh mon dieu, j'ai envie d'une cigarette. On ne peut pas fumer ici bien sûr..., déplore Claudie qui se reprend. 

Léa, amusée par l'attitude fantasque de sa mère, trouve la force de sourire. 

─ Je suis ici depuis combien de temps ? demande-t-elle sans lâcher la main de Michaël. 

─ Depuis trois jours. J'ai parlé à ton docteur ce matin, c'est un très bel homme, brun aux yeux bleus avec un magnifique sourire, un peu petit peut-être... bref, il m'a dit que tu allais devoir passer quelques temps en rééducation à cause de ton bassin fracturé mais que si tu es sérieuse, tu retrouveras tous tes moyens rapidement. Ah tiens le voilà justement ! 

Le docteur Girard s'invite dans la chambre à pas feutrés, un peu gêné de s'immiscer au cœur de ses retrouvailles. 

─ Il va falloir que vous laissiez votre fille se reposer maintenant Madame Desjours. 

─ Je lui disais justement qu'elle avait beaucoup de chance d'être dorlotée par un si bel homme. Je vous la laisse docteur. 

Claudie s'apprête à se lever de sa chaise mais Léa la retient de la main. 

─ Et Enzo ? murmure-t-elle, visiblement à bout de force. 

─ Malheureusement, il n'a pas eu ta chance ma chérie... 

Léa voit bien les lèvres de sa mère bouger mais le son de sa voix ne lui parvient plus. Une sorte d'anesthésie gagne ses membres sous l'irrésistible gaz de l'épuisement. Sa vue se brouille, elle desserre peu à peu la main de Michaël et s'endort sans pouvoir résister.
Claudie entraîne son petit fils avec elle et accompagne le docteur hors de la chambre. Celui-ci prend un air soucieux qui creuse un peu plus les fossettes qu'il a sur les joues. 

─ Vous n'auriez pas dû lui dire pour Enzo. 

─ Il aurait bien fallu qu'elle l'apprenne, s'étonne Claudie qui ne voit pas où est le mal. 

─ Elle est encore très fragile Madame. Je ne crois pas que le fait de lui annoncer aussi brutalement le décès de son mari soit une bonne chose pour elle. 

─ Ne me grondez pas, je ne pensais pas mal faire... 

Le docteur coupe court à toute discussion au long cours. Il se contente d'ajouter le plus calmement possible : 

─ Pas de visite avant demain soir ok ? 

─ D'accord, docteur. Dites, je peux vous poser une question ? 

─ Allez-y. 

─ Je me suis toujours demandée si les personnes qui se retrouvent dans le coma voient leur vie défiler ? Est-ce qu'ils pensent à nous ? Est-ce qu'ils peuvent nous entendre ? Sont-il presque vivants ou presque morts ? Sont-ils encore maîtres de leur destin ? 

─ Posez leur la question, s'est contenté de répondre le docteur.

A moitié satisfaite, Claudie accompagnée de Michael, est allé rejoindre toute la famille réunie en salle d'attente. Partagés entre la peine causée par la disparition d'Enzo et le bonheur de savoir Léa en bonne voie de guérison, tous n'ont pas manqué de s'interroger sur le sens de la vie. Certains ont prolongé leur réflexion jusque tard dans la nuit. Beaucoup se sont demandés quelle était la place la plus enviable. Celle d'Enzo ou celle de Léa ?

A chacun d'en juger.

Avant de partirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant