Chapitre 10

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Les pulsations abrutissantes de la musique techno projettent les corps des danseurs dans toutes les directions. Dans les boîtes crâniennes toute forme de pensée est impitoyablement détruite comme au tir aux pigeons par les beats surpuissants. C'est le shoot que sont venus chercher tous ces gens. Celui qui mène à l'oubli. Ils ne forment plus qu'un drôle d'animal bondissant, suant, alimenté par un seul cœur qui bat au rythme délivré par le D.J. Au plus fort de la transe, l'impression de ne former qu'une seule entité mécanique et détachée du monde a quelque chose de jubilatoire, comme un orgasme prolongé jusqu'au bout de la nuit sans interruption. Certains s'en contentent mais d'autres, habités par des hantises trop tenaces, ajoutent à cette lobotomie une panoplie de substances radicales pour annihiler les derniers ennemis de l'extase. Léa en fait partie. Trop de choses à oublier. Il lui faut toujours plus de leurres pour tromper son cerveau. Si elle pouvait se l'arracher du crâne et le mettre dans un bocal de formol pour quelques heures d'oubli elle n'hésiterait pas. Que fait la science ? N'y a-t-il pas d'autre issue que la mort pour faire taire nos angoisses, nos chagrins et nos regrets ? La seule solution qu'elle ait trouvée vibre au cœur des discothèques et empoisonne son sang. Tant pis pour la honte qu'elle éprouve de plus en plus souvent au terme de ces nuits, tant pis pour sa santé qui se lézarde un peu plus à chaque fois, elle n'a pas trouvé d'autre alternative. Cela fait trois heures qu'elle danse sans interruption, un de ses partenaires lui offre une énième pilule qu'elle avale dans un sourire béat. Elle ne sent plus les appels au secours de son organisme, son cœur qui bat trop vite, les vertiges, la nausée. Elle est anesthésiée. Enfin. Encore. Son t-shirt colle à ses seins, ses cheveux à son front, elle est moite d'épuisement et d'ivresse. Elle s'abandonne. Le rythme change soudainement pour prendre une couleur plus groovy. Est-ce un hasard si c'est à ce moment qu'elle sent une main se coller à ses fesses ? D'abord surprise, elle tourne la tête et voit le type aux pilules lui sourire. Il s'aventure un peu plus entre ses cuisses tout en continuant à danser derrière elle. Léa sans se démonter, bien au contraire, se pend à son cou et fait onduler son corps brûlant tout contre son pourvoyeur de rêve. Elle sent le membre de l'imprudent se durcir et ne peut s'empêcher d'éclater d'un rire à gorge déployée. Elle en rajoute une couche et passe sa langue dans le cou de sa proie qui en frissonne de plaisir. Le jeu se prolonge de longues minutes. Léa prend plaisir à enflammer le désir du garçon. Elle se caresse le corps en une chorégraphie à damner tous les Saints, ses tétons pointent maintenant à travers son t-shirt qui ne cache presque plus rien puisqu'elle a retiré son soutien-gorge au comble de la chaleur. 

 — T'es une sacrée chaudasse toi, lâche le type en souriant. 

Léa fait courir sa langue sur ses lèvres et d'un geste du doigt demande a son partenaire de se rapprocher d'elle encore un peu plus. Celui-ci s'exécute sans se faire prier, sûr qu'il va baiser ce soir. Leurs bouches se touchent presque. Léa soupire langoureusement, elle lui met la main au paquet en gémissant, lui lance un regard chaud comme la braise et ... lui décoche un coup de boule phénoménal !
L'impact est si fort qu'elle ne sait pas si le craquement qu'elle vient d'entendre vient du nez de sa victime ou de son front. Le type s'effondre sans que personne n'y prête attention. Certains commencent même à le piétiner sans s'en apercevoir, pris dans leur trip. Léa en profite pour quitter la piste de danse et se rapprocher du bar. Simon et Charly, deux copains de beuverie en grande discussion, l'attendent un verre à la main. Elle les a rencontrés lorsqu'elle s'est mise à fréquenter les boîtes de nuit parisiennes assidûment. Avec Nady et ces deux-là elle a passé des nuits mémorables, mais contrairement à Nadia qu'elle connaît depuis beaucoup plus longtemps, elle ne les voit que dans ce contexte, jamais dans un cadre intime. Elle les considère comme de bons compagnons de fête et basta.

— Tu t'es bien éclatée ? demande Charly en vidant son verre de vodka. 

— Dans tous les sens du terme ! T'es extralucide Charly, rétorque Léa avec un petit sourire. 

Avant de partirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant