25 septembre 1765

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Cela faisait près de trois heures que Jean-François attendait lorsqu'il reçut enfin une réponse des deux agents de police. Une réponse catégorique : il ne pourrait pas plaider la cause de son père, pour la simple raison que son jugement avait déjà été rendu. Il avait pourtant marché durant des jours entiers pour parvenir jusqu'à Saugues et sa prison. Le seul droit qu'on lui offrit fut de lui rendre visite. Une courte visite, lui avait-on explicitement indiqué. Ainsi, le jeune homme entra dans les entrailles glacés du bâtiment de pierre, suivant avec précaution le gardien. Arrivé devant la cellule de son père, François eut du mal à reconnaître l'homme en face de lui.

Jean Chastel avait toujours été de ces hommes bien bâtis, fort de caractère, du genre de ceux qui ne se laissaient jamais abattre. Mais quand son fils posa ses yeux sur lui, il se rendit compte que quelque chose avait changé, sans qu'il ne put expliquer quoi. Les yeux dans le vague, Jean ressemblait à un condamné ayant accepté son sort. Cette vision horrifia François. Il l'appela une première fois puis une seconde, sans que l'homme ne daigne bouger d'un millimètre. Ce ne fut qu'à la troisième interpellation que son père tourna un regard étonné vers lui. Mais avant qu'une infime part du père heureux de voir son fils ne souhaite se présenter, Jean montra un air indigné à François.

  - Mais qu'est-ce que tu fais ici ?! Ta mère te cherche partout ; tu devrais être rentré à la maison depuis des mois, triple andouille !

Jean-François fronça les sourcils.

  - Je suis venu t'aider, père. Ils n'ont pas le droit de te garder ici !

  - Mais qui m'a fichu pareil idiot ? , s'indigna encore le père, Tu peux rien faire alors va plutôt aider ta mère au lieu de parcourir des jours de marches pour que dalle !

  - Mais-

  - Non ! Vas-t'en.

Frustré de n'avoir rien pu dire pour sa défense, le fils Chastel s'en retourna, suivi de près par le garde. Son père avait clairement refusé son aide, lui beuglant même qu'il aurait mieux fait rester à la maison familiale. Jamais Jean-François n'eut été si défait par les remarques de son paternel. Celui-ci alla jusqu'à taper du pied par terre, tel un enfant, lorsqu'il se retrouva enfin devant la prison.

Ne sachant pas réellement quoi faire maintenant, il se demanda alors ce qu'il était advenu de Suzanne. Cela faisait exactement douze jours qu'ils s'étaient séparés et le jeune homme n'avait cessé de penser que les choses auraient pu se passer différemment. Cependant, et bien que celle-ci lui manqua énormément, ce ne fut pas le souvenir de Suzzie qui le mit sur le chemin du retour, mais la nouvelle des plus surprenantes concernant la mort de la Bête.

La jeune fille, de son côté, avait passé de longs moments dans la petite chambre du grenier après le départ de François. Mais bientôt, elle avait eu du mal à payer son loyer. La bonne femme qui les avait accueillit avait bien dû la mettre à la porte, quand bien même elle le fit à regret. La bonne aubergiste voyait en Marie-Rose – nom d'emprunt de Suzanne – la fille qu'elle avait eu et qui s'était enfuie avec son amant lorsque son mari avait refusé leur union. C'était pourquoi en voyant les deux amis miséreux, elle avait eu pitié d'eux comme elle aurait eu pitié de sa fille. Mais désormais, toute la bonne volonté du monde ne pouvait remplacer la rente de fin de mois.

Suzanne s'était donc mise en route sans vraiment savoir où aller. La Bête étant réputée abattue et François lui manquant terriblement, elle s'était finalement mise en chemin pour Saugues, en espérant retrouver là-bas son ami.

En effet, depuis la date du treize septembre, la Bête pourtant toujours aux aguets n'avait plus fait de victimes. Puis quelques jours plus tôt, le vingt-et-un septembre exactement, Monsieur Antoine et ses troupes semblaient l'avoir eue. Ils avaient fait un détour jusque dans une partie de l'Auvergne où la Bête n'avait pourtant jamais usé de ses crocs et l'y avaient trouvée. L'arquebuse avait vu venir à lui l'animal, de forte taille et les yeux rougis de sang, il avait immédiatement tiré, la balle atteignant l'œil de l'animal. Mais, comme par un maléfice, la chose s'était relevée et ni une ni deux, cette fois, le chevalier de Saint-Louis l'avait exécuté d'une seconde balle dans le flanc. On avait immédiatement fait transporté le cadavre jusqu'à Saugues où un chirurgien pratiqua l'autopsie. Mais malgré toute la bonne volonté, on y vit là qu'un simple loup. Et pourtant, les enfants-témoins pressés de venir là par le porte-arquebuse affirmèrent avec véhémence qu'il s'agissait bien là de la Bête.

François, s'il l'avait vue, aurait pu dire de quoi il en retournait, seulement il ne sut pas qu'à peine quelques rues plus loin se pratiquait une autopsie d'importance capitale pour leur région. On décréta la Bête morte, Monsieur Antoine avait dès lors entamé son voyage de retour jusqu'à Fontainebleau.

Suzzie, dans son objectif de rejoindre le jeune homme, prit cependant la disposition superstitieuse de s'équiper d'un bâton terminé par le couteau que le père lui avait donné avant de partir de son village. Puis, sans un regret, elle quitta le village.

La Bête du GévaudanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant