30 décembre 1764

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L'hiver s'était installé dans le Gévaudan. Suzzie et François avaient pu récupérer de chauds manteaux grâces aux savoirs de la jeune fermière en matière de couture. Ainsi, ils étaient relativement gardés à l'abri. Cependant, maintenant que la neige recouvrait les routes, il était à la fois plus difficile et plus facile de traquer la Bête. Dormir dehors était devenu impossible, même avec toute la volonté dont ils feraient preuve. Et trouver un gîte était chose extraordinaire avec l'affluence que les aubergistes avaient eu ces derniers temps. Si le froid poussait les gens naturellement vers les coins chauds, la rumeur de la Bête avait fini de faire déserter les routes.

La terreur s'était désormais inscrite jusque dans les contes locaux. Lorsqu'une mère grondait son enfant, le menaçant de la Bête, on racontait que celle-ci, avisée par on-ne-savait-qui venait poser ses pattes sur le rebord de la fenêtre. Elle observait alors gloutonnement l'enfant de ses yeux rouges, guettant le moment où elle caresserait sa peau douce de ses crocs aiguisés. La population de Gévaudan vivait au rythme des attaques du monstre.

Suzanne avait finit par se faire à l'idée de rôder la nuit, à la recherche de traces dans la neige. Elle et Jean-François avait poussé jusqu'à Besset leurs escapades. Le soleil était encore haut dans le ciel lorsqu'un jeune se tourna vers eux. Plutôt à l'écart des quelques personnes qui avaient le courage de se rendre sur la place du village, les deux amis avaient de quoi attirer l'attention. Matthieu Martial, âgé de vingt ans, s'avança vers eux. Presque instinctivement, Jean-François se leva, plaçant la jeune fermière derrière lui. Il était vrai que la carrure du jeune homme avait de quoi impressionner, seulement Matthieu ne se laissa pas intimider et entreprit de discuter avec eux.

  - Alors, vous avez aussi eu le courage de sortir ? Depuis quelques mois, le village est comme endormi. Mais quelque chose me dit que vous ne venez pas d'ici. Je me trompe ?

Les deux aventuriers se regardèrent avant que Suzzie ne hoche la tête malgré l'appréhension de son compagnon de route.

  - Non, on vient d'assez loin, en effet. Comment cela se fait-il que vous sortiez si tous s'y refusent ?

  - Bah, j'ai juste pas la couardise de certains. Enfin, cessons les formalités, appelez-moi Matthieu.

Le jeune homme hésita avant de se présenter à son tour, sous le nom de Paul. Lorsqu'il voulut aussi présenter son amie, celle-ci lui coupa la parole, s'avança pour le faire elle-même.

  - Je m'appelle Rose-Marie, mais appelle-moi Rose.

Jean-François regarda d'un mauvais œil le ton guilleret qu'avait employé le jeune fermière mais n'ajouta rien. La phrase enjôleuse du jeune homme en face ne lui échappa pas non plus, bien que Suzzie ne sembla pas y porter grande importance. Râlant, François accepta tout de même lorsqu'il leur proposa de venir dîner chez lui.

Cela faisait longtemps que Suzanne n'avait côtoyé d'autres personnes que Jean-François et cela lui manquait de ne pas discuter avec des gens nouveaux de choses plus gaies. Matthieu lui faisait l'effet d'une bouffée d'air frais et le regard séducteur qu'il lui lançait ne lui avait pas échappé. Nul doute là-dessus, elle lui plaisait. Ce qui en revanche, n'avait pas l'air de réjouir François, son soit-disant frère. Ce dernier marchant un peu derrière, elle le rejoignit afin de lui demander si tout allait bien. Il éluda la question en lui rappelant leur promesse. Suzanne prit la mouche. Bien sûr qu'elle se souvenait de leur promesse ! Elle n'allait pas l'oublier.

  - Vois-tu ma mère est morte de la gueule de cette Bête, je ne pourrais jamais l'oublier. Mais j'essaie de vivre avec et un peu d'insouciance de temps à autre me fait du bien.

Jean-François ne sut quoi répondre. Jamais il n'avait pensé éveiller la peine de la jeune fille qui désormais avait les larmes aux yeux. Il se traita d'imbécile. Évidemment que quelque chose de grave avait dû arriver avant qu'ils ne se rencontrent pour qu'elle quitte son foyer d'un seul coup. Mais qu'elle ait dû supporter la vue du corps lacéré de sa mère lui fit l'effet d'un coup de poing dans le ventre. On n'avait pas à vivre ce genre d'épreuve à un si jeune âge. D'ailleurs, quel âge avait-elle ? Il se promit de lui poser la question lorsqu'elle serait plus calme. Malheureusement, l'éclat de ses larmes finit de l'achever, il ne sut plus quoi faire.

La Bête du GévaudanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant