21 janvier 1766

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Jean-François se réveilla doucement, un mal de crâne intense lui broyant les tempes. Sa vision mit quelques secondes à s'habituer. Lorsqu'il vit où il était, il paniqua. Le jeune homme était allongé sous une couverture, dans un lit de paille. La petite masure ne contenait qu'une pièce, aussi il put voir une femme assise a une table, semblant occupée à sa tâche. Il se demanda d'abord ce qu'il faisait là, avant de sentir son cœur s'accélérer en se demandant où était Suzanne. Mais lorsqu'il tourna la tête de l'autre côté de la paillasse, il la vit dormant paisiblement à côté de lui. Il soupira de soulagement. Le femme dut l'entendre puisqu'elle tourna son regard vers lui. Elle n'était pas très âgée, mais des rides significatives montraient déjà le bout de leur nez, sous ses yeux et sur le reste de son visage. Son corps entier, amaigri et fragile, semblait marqué par les épreuves. Cependant, la femme lui sourit et mima le silence d'un doigt sur sa bouche avant de pointer Suzzie. Il comprit alors que la femme ne désirait pas réveiller la petite fermière. Lui aussi pensa qu'elle avait besoin de repos. Il se leva cependant du lit, replaçant soigneusement la couverture sur la jeune fille, puis rejoignit la femme autour de la table. Après s'être assit, il remarqua que la femme devait avoir la cinquantaine. Ses mains s'agitaient à la tâche, ses yeux concentrés sur les grains de blés à préparer pour la bouillie. Au bout d'un moment, François se décida à prendre la parole : "Que s'est-il passé hier ?

 - Tu allais mourir de froid avec ton amie. Cette nuit a été particulièrement rude. Heureusement, mon mari vous a ramenés ici avant que le pire n'arrive.

 - Merci énormément, fit François, On vous laissera dès que Suzanne sera réveillée.

 - Oh non, restez déj'ner avec nous. Vous avez b'soin d'reprendre des forces, insista la femme, Et cesse de me vouvoyer, je n'suis ni vieille ni noble. Appelle-moi Gertrude.

Le jeune homme sourit. Gertrude lui faisait drôlement penser à sa propre mère. Et après plus d'un an sans la voir ni lui parler, celle-ci commençait à lui manquer. Il prit donc des grains de blés en main et entreprit le travail.

Quand Suzzie se réveilla à son tour, il y eut un instant où elle fut perdue. Puis ses yeux se posèrent sur le visage concentré de François et son cœur s'apaisa. Elle se releva doucement attirant l'attention des deux autres habitants. Elle s'arrêta dans son mouvement lorsqu'elle reconnut le visage de la femme. Elle la connaissait. C'était sa tante, la sœur de son père, qui était partie il y a vingt ans pour se marier et fonder sa famille. Oh, elle ne l'avait jamais vu. Mais la ressemblance avec son paternel était aussi frappante que s'ils avaient été jumeaux. Seulement, se dit-elle, si jamais elle venait à apprendre qu'elle s'était échappée de la ferme, elle l'y renverrait probablement affublée d'un mari. Hors, désormais qu'elle avait Jean François, elle ne désirait pas d'autre homme dans sa vie. Elle se leva poliment avant de se diriger vers lui. Affectueusement, il la prit par la taille pour la présenter : "Suzanne, je te présente Gertrude. Elle et son mari nous ont sauvé la vie. Gertrude, je vous présente Suzanne.
Pour une fois, Suzzie aurait préféré qu'il donne leur faux noms. Elle ne dit cependant rien et la salua d'un signe de tête.
 - Eh ben, jeune fille, tu dis rien ?
 - Euh... si. Merci, merci beaucoup."
Francois sentit la gêne de la fille et, quand Gertrude sortit pour récupérer du linge qu'elle avait laissé dehors, il lui posa la question : "Suzzie, tu vas bien ? Tu n'as pas l'air très à l'aise...
La jeune fille hésita un peu avant de se confier.
 - Cette femme, Gertrude... Elle est la sœur de mon père. Si elle sait qui je suis, elle me renverra à mon père après m'avoir fait épouser un quelconque homme.
La jeune fille paraissait réellement paniquée. Mais quand bien même François était irrité rien qu'à l'idée de la voir mariée à un autre, il semblait avoir donné sa confiance à Gertrude. La femme les avait sauvé et ne semblait ni aigrie, ni pétrie de méchanceté. Il tenta alors de rassurer la jeune femme quand leur sauveuse entra, accompagnée d'un homme plus âgé que la femme, probablement son mari. Immédiatement, Suzzie devint livide. Paul était son ami, elle pouvait le gérer. Mais elle ne connaissait pas cet homme et avait bien peur que son oncle ne soit de ce genre qui apprécient les jeunes filles un peu trop. D'un geste instinctif, elle se plaça légèrement derrière François. Avec lui à ses côtés, elle en était sûre, rien de mal ne lui arriverait. Confiante, elle affronta les paroles de Gertrude : « Les enfants, v'là mon mari, Hector. C'est lui qui vous a porté jusqu'ici, c'la j'en ai pas la force ! » , rigola-t-elle. Le dénommé Hector semblait être jovial, sa carrure indiquant visiblement qu'il était habitué à de lourdes charges. Bien plus lourdes que deux jeunes gens affamés. Le regard de la femme changea lorsqu'il se posa sur Suzanne, il se fit doux. Alors qu'elle s'assit à la table, elle indiqua à la jeune fille d'en faire de même. « J'ai bien vu qu'tu ne me f'sais pas confiance, mais laisse-moi t'dire une chose. Si mon frère est tombé dans l'alcool, c'pas le lot de toute notre famille.

La Bête du GévaudanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant