25 décembre 1765

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Réveillée par le froid, Suzanne se blottit un peu plus contre la masse chaleureuse qui lui servait de bouillotte. Depuis le début de l'hiver, les deux amis avaient pris l'habitude de dormir l'un contre l'autre, se disant qu'ainsi ils auraient plus chaud et éviteraient de grelotter toute la nuit. Mais en bougeant ainsi, la fermière réveilla Jean-François qui roula sur le côté. Un son boudeur de la part de la jeune femme fit sourire François qui se retourna pour la serrer contre lui. Il appréciait ses gestes câlins au réveil, quand elle se trouvait encore dans un état proche de l'inconscient. Ils restèrent de longues minutes ainsi sous leur maigre couverture, sans parler. Aujourd'hui était le jour de Noël, dans les familles bourgeoise, cela signifiait une fête de famille, presque sacrée. Suzanne, en proie au doute, se permit de questionner son ami.

  - François... Puisque toute cette histoire de Bête est finie, tu comptes rentrer chez toi ? Revoir ta famille ?

Le jeune homme ne répondit pas immédiatement. Il avait déjà songé à la question mais ne pas avoir de réponse sûre le rendait nerveux quant à ses choix et ses priorités. Il décida de lui répondre honnêtement.

  - Je ne sais pas. Je ne suis pas vraiment pressé de rentrer, la prochaine fois que mère me verra sera sûrement le jour de mon décès. Et toi ? Tu comptes rentrer à la ferme ?

Contrairement à lui, la jeune fille avait depuis longtemps songer à la question. En réalité, elle en connaissait la réponse depuis le moment où elle avait mis un pied hors de la ferme.

  - Quand j'ai quitté mon père et la ferme, je savais que jamais je n'y retournerai. Je sais que puisque je suis l'unique enfant de la famille, la ferme me reviendra après la mort de père. Mais, je n'ai ni l'envie ni le devoir d'y retourner. J'ai pris ma liberté, je ne compte pas l'abandonner encore une fois.

François observa la jeune fille durant tout son monologue, il la savait déterminer dans ses choix. Quand bien même il s'inquiétait pour elle.

  - Et où irais tu ? Tu n'as nul part où aller, pas de travail durable. Et sans garant, il te sera presque impossible d'en trouver un.

Mais la jeune fille s'indigna.

  - J'en ai bien trouvé jusque là, qu'est-ce qui m'empêcherait de continuer ?

  - Moi. Pour l'instant, j'étais en quelque sorte ton garant. Un homme qui puisse affirmer ton dur travail. Mais sans moi, personne ne pourra affirmer que tu n'es pas une simple vagabonde.

Sans lui laisser le temps de répliquer, Jean-François s'emporta.

  - Viens avec moi à la maison. Tu vivras avec nous et quand tu... te trouveras un mari, tu pourras déménager avec lui.

La fermière lui lança un regard stupéfait. Si elle s'était échappée de l'emprise de son père, ce n'était pas pour tomber dans celle d'un mari. Et quand bien même elle en trouverait un qui ne l'étoufferait pas, la mère de François n'accepterait jamais qu'elle habite chez eux jusqu'à son mariage. Pourtant, face aux yeux rêveurs de François, elle ne sut pas répondre. Suzzie finit par acquiescer, sachant bien la vérité. Alors que Jean-François se promit de ne pas laisser seule la jeune fille, celle-ci se promit de le laisser rentrer chez lui si tel était son souhait et, le cas échéant, de se séparer de son unique ami.

La chose semblant être réglée, ils passèrent leur journée habituelle au travail. Suzanne en tant que ménagère et repriseuse et Jean-François en tant que laboureur. Sur le chemin du retour, François passa chercher Suzzie dans la maison où elle reprisait les vêtements des enfants. Il la vit alors assise sur un tabouret, concentrée sur sa tâche, tandis qu'elle racontait en même temps un conte local aux trois bambins réunis devant elle, et il se dit qu'elle ferait une bonne mère, un sourire attendri sur le visage. Au bout de quelques minutes, elle finit par le remarquer. Elle finit en vitesse son ouvrage et s'excusa auprès des enfants avant de rejoindre le laboureur. Seulement, alors qu'ils allaient parvenir à leur auberge, ils se heurtèrent un trio de leur âge, dont la seule fille tendait à se tenir à l'arrière. Surpris par cette interruption dans leur marche, les deux amis se regardèrent avant que l'un des deux garçons ne daigne leur adresser la parole.

La Bête du GévaudanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant