Henry et Jean-François, qui surveillaient donc les agissements de Jean Chastel, virent ce jour-là la décision de l'homme de prendre part à la chasse à la Bête qu'avait organisé un noble de la région de la Sogne-d'Auvert. Les deux hommes ne savaient cependant pas les pensées qui torturaient Jean Chastel. Cet homme-là était malade. Sa maladie n'était pas visible, ne le tuerait certainement pas et n'était pas contagieuse. Mais elle le pourrissait de l'intérieur, elle prenait le meilleur de lui et l'étouffait. Sa folie s'était révélée à lui comme une tumeur incurable la nuit où il avait fait tuer Jeanne Bastide, une petite qu'il avait vu grandir. Dans cette chasse, il voyait l'occasion de se racheter de ses péchés. Car il en était sûr, il serait damné autrement.
Quelques jours à peine plus tôt, il prenait encore plaisir à voir le sang couler devant lui, à voir cette chose soumettre les Hommes à toute l'horreur de la nature dans sa forme la plus ignoble. Il n'avait pas d'affection pour cette chose, ne la considérait même pas comme un animal. C'était une erreur de la nature, sans nul doute. Mais c'était un tel spectacle enivrant de voir cette erreur mettre au supplice ceux que la Nature avait fait maître de ces terres. Les maîtres mis en esclavage de leur propre souffrance. C'était une chose qui fascinait complètement Jean Chastel.
Et puis, cette nuit-là, tout avait basculé. Il avait vu cette chose dans sa vérité. Il le savait déjà. C'était une erreur. Mais il avait compris pourquoi elle était une erreur. Aucun animal, aucun être vivant n'était censé pouvoir arracher la vie aussi facilement, avec un tel plaisir. Car il l'avait vu à plusieurs reprises dans ses yeux. Le plaisir de cette chaire tendre qui s'arrachait devant ses prunelles vermillons. On disait que le chien était semblable au maître. Peut-être la Bête lui était-elle semblable seulement elle n'avait point d'artifices comme une peau humaine pour camoufler l'horreur qu'elle était. Toujours était-il que l'homme avait pris sa décision. Il avait même fait bénir des balles pour tuer cette chose venue de l'enfer. Il en était persuadé, c'était là sa rédemption et son salut. Cette chose était venue du Malin pour le tenter mais désormais, il s'était rangé aux côtés de Dieu et allait mettre un terme à cette tentation qui le bouffait de l'intérieur. Oui, c'était ça... Il n'était pas mauvais, il avait juste été tenté... Le diable avait fait ces horreurs, pas lui. Non, lui était un homme bon. Un homme bien. Un croyant. Ce n'était pas sa faute... C'était cette Bête, le mal et il allait l'éradiquer.
La différence toutefois notable entre le maître et sa bête – une différence que le maître lui-même ne nota pas – fut leur état d'esprit. Si Jean Chastel était mentalement atteint, s'il n'avait précédemment pas conscience de l'ignominie de ses actes, la Bête, elle, en avait une conscience profonde et totale. Or si l'homme avait un tant soit peu de contrôle sur cette chose, c'était uniquement parce que celle-ci le savait fou, et elle adorait ça.
Jean-François et Henry, quant à eux, décidèrent de rejoindre cette chasse à sa suite. Ils allaient en profiter pour rassembler d'autres preuves, pour le faire tomber.
C'était le début de l'après-midi. Il faisait déjà chaud pour un mois de juin mais cela ne dérangeait point les différents chasseurs venus ce jour-là. Plusieurs habitués avaient emmené leurs chiens et comptaient sur eux pour débusquer cette Bête, devenant ainsi le sauveur du Gévaudan. Rassemblés dans une petite plaine, le cor de chasse donna le top départ. Les chiens se mirent à aboyer dans une sourde cacophonie et les chasseurs, telle une vague humaine prête à engloutir la Bête, firent le premier pas vers sa fin.
Jean-François suivit d'abord le groupe de tête, comme celui-ci contenaient le presque totalité des hommes présents. Cependant, Henry lui fit signe lorsque ce dernier aperçut Jean Chastel s'éloigner du groupe. Alors, discrètement, il laissa les autres chasseurs le dépasser et rejoignit Henry. Ensemble, ils suivirent l'homme, se cachant coup à coup derrière un buisson ou derrière des arbres. Le père Chastel était bien trop concentré sur ses faits et gestes, sur le moment où la Bête viendrait à lui, sur sa rédemption prochaine pour ne serait-ce que penser à jeter un regard en arrière. Qui voudrait suivre un sexagénaire qui chercherait un peu de calme lors de la chasse ?
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La Bête du Gévaudan
Fiksi Remaja1764. Suzanne avait dix-sept ans lorsqu'elle vit revenir les hommes de son villages avec la dépouille lacérée de sa mère, disparue depuis la vieille. Éventrée, égorgée, la dépouille fut rapidement mise en terre, sans même que la jeune fille ne puiss...