13 avril 1767

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Le lendemain de leur mariage, l'oncle et la tante de Suzzie leur avaient fourni quelques économies qui leur restaient au fond d'un placard. Avec ça, ils avaient pu acheté des balles à un homme du village de Viallevielle. Ils avaient appris après que l'apparition de la Bête avait suivi leur départ. Bien heureusement, Marguerite Denty, la femme qui avait été prise pour cible par le monstre, s'en était sortie avec quelques blessures. Mais plus le temps passait, plus les deux jeunes mariés s'étaient rendu compte d'une chose, avec la plus grande horreur. Les apparitions de la bête suivaient toutes les visites des jeunes gens dans les villages.

Le 3 avril, ils s'étaient arrêtés dans un village au bord de la Desges. Le lendemain, Jeanne Paulet, une jeune fille de quinze ans, avait vu la peau de son crâne être arrachée, ses flancs ouverts à l'air et en était morte.

Le 7 avril, ils avaient mangé dans une auberge à Nozyrolle. Le soir-même, Louise Soulier avait été retrouvée morte, décapitée par la Bête. Ses yeux étaient presque sortis de leur orbite sous la douleur et sa langue avait disparue.

La nuit du 9 au 10 avril, ils l'avaient passée dans une grange à Saint-Privat du Fau. Trois heures après leur départ, Etienne Loubat, âgé d'à peine neuf ans avait été découvert dans un champ près du village, une jambe arrachée, la moitié du visage mangé et presque nu de vêtements, probablement déchiquetés par la bête. Il était décédé quelques minutes avant l'arrivée des secours.

Alors François et Suzanne avaient pris leur décision. Si la Bête s'était mise en chasse, si elle planifiait de les manger, ils cesseraient de fuir. Ils allaient trouvé le moyen de l'empêcher de nuire. Il le fallait, car le poids de la culpabilité sur leurs épaules s'alourdissait à chaque mort. Alors ils s'étaient arrêtés dans le village de Bugeac. Ils avaient cassé des dizaines de branches, les avaient taillées en pointes puis avaient creuser une fosse – peu profonde – à la sortie de la ville. Ils l'avait remplie de ces pointes acérées et l'avait camouflée, si bien qu'ils étaient presque certains de voir la Bête tomber dans le piège. Après tout, étant large de vingt pieds*, la Bête ne pourrait pas l'éviter.

Comme eux-même venaient du Sud, ils s'étaient placés au Nord, de sorte d'être certain que le monstre n'arriverait pas par derrière. Alors, là, cachés derrière un buisson, ils attendirent jusqu'à la nuit tombée. Et, de dos, Suzanne était à deux doigts de s'endormir avant que François ne la secoue par l'épaule. La Bête était là, dans l'une des rues de Bugeac. Ils l'observèrent. Le monstre avançait lentement, ses pattes antérieur, plus courtes que celles de derrière, faisant rouler son dos d'une manière étrange. Ses yeux carmin se posèrent sur le piège, comme si elle le sentait. Alors, doucement, elle s'approcha, elle renifla. Et si elle ne s'était relevée sur ses deux pattes arrières pour observer les alentours, on eut dit un gros loup. Sa gueule toujours béante produisait une salive qui finit par faire tomber l'une des feuilles dans la fosse. La Bête ne l'avait peut-être que pressentie avant, mais désormais elle avait sous les yeux la tromperie.

Sans même prendre d'élan, le monstre bondit et traversa les vingt pieds comme s'ils n'étaient rien. Soufflés et effrayés de la savoir désormais de leur côté, Jean-François prit peur pour Suzzie. Il la saisit par la main et la tira plus profondément dans les broussailles, jusque dans le petit bois. La jeune femme le suivit sans mot dire, terrifiée à l'idée que la chose ait senti leur odeur. Ils coururent jusqu'à en avoir le souffle couper. Mais alors qu'ils se croyaient relativement à l'abri, un bruissement de feuillages retentit plus loin. On avançait vers eux. François jura et se positionna devant sa femme, chargeant son fusil. Sa main tremblait mais, il le savait, il n'avait pas le droit à l'erreur. Il se devait de la protéger, il le lui avait promis comme il se l'était promis à lui-même et devant Dieu. Mais quand la tête d'un homme parut, les jeunes mariés n'en crurent pas leurs yeux. « Père ?

Jean Chastel regarda son fils d'un œil curieux. Que faisait-il ici ?Jean-François fut d'abord ravi de voir son paternel et pensa immédiatement à lui apprendre l'heureuse nouvelle. Il lui présenta Suzanne comme étant sa femme. Le vide dans les yeux du sexagénaire fut vite remplacé par la colère.

 - Cette fermière ?! Mais qu'est-ce qui t'es passé par la tête ?! Épouser une- Et sans mon accord, qui plus est ! ajouta-t-il.

Mais le jeune homme, transi d'amour pour la jeune femme à ses côtés, prit la mouche lorsqu'il entendit de telles paroles.

 - En quoi serait-elle une mauvaise épouse ? Mère était une fermière, elle aussi. Et tu l'as épousée !

Entre les deux hommes, le ton monta très vite. Si bien qu'on les entendit bientôt jusqu'au village. Peu rassurée par la tournure des choses, Suzanne interrompit son homme quand elle entendit un bruit.

 - François, quelque chose approche. »

Immédiatement, il se tourna vers la source du bruit, oubliant totalement son paternel. Tous surent à qui appartenaient ces pas. Jean Chastel redevint à cet instant le père autoritaire qu'avait connu Jean-François.

 - Partez. Je me charge de la retenir, affirma-t-il en chargeant son arme à son tour.

Le jeune homme hésita quelque peu à laisser son père dans cette situation délicate mais la main crispée de la jeune femme dans son dos lui donna la marche à suivre. Il acquiesça et emmena Suzzie -sa Suzzie – quelque part à l'abri, loin d'ici. Seulement, après quelques mètres, ils entendirent des coups de feu, stoppant François dans sa lancée. Jean Chastel avait beau avoir eu une réaction ignoble face à son mariage, il n'en demeurait pas moins son père. Jean-François eut l'immense pressentiment qu'il devrait faire demi-tour, que quelque chose d'important se déroulait là-bas. Mais, une fois encore, la poigne effrayée de la jeune fille le fit hésiter. Et lorsqu'elle le regarda dans les yeux, il sut qu'elle n'avait pas peur pour elle, mais pour lui. Suzanne était terrifiée à l'idée que, si elle le laissait aller aider son père, il ne lui revienne jamais. Alors, à contre-coeur, le jeune homme continua sa route. Son père était un chasseur expérimenté et respecté pour ses talents, il survivrait. Il était obligé de survivre car autrement, jamais François ne se le pardonnerait.

La Bête du GévaudanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant