dernière

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[REPOST]

Cette nuit était la dernière.
Je me l'étais répété des centaines fois.
On était en boîte, quatre heures du matin, une bouteille dans la main, cigarette dans l'autre.
Son corps chaud était contre le mien, sa respiration était rapide, lui aussi savait que, pour nous, c'était la dernière.
On marchait maintenant dans les rues quasi-désertes, on avait fini nos cigarrettes et l'alcool etait plus présent dans notre sang que dans la bouteille.
Mon corps tremblait et j'étais prise de frissons, mais la cause n'était ni la peur, ni le froid, peut-être l'adrénaline ? Ou tout simplement le fait que sa main moite tenait la mienne et que je pouvais l'entendre expirer, créant de la buée dans le froid de l'hiver.
Je me rapprochais de lui à chaque pas que nous faisions.
-On va chez moi.
Ce n'était pas une question, on allait chez lui, je le savais de toutes manières.
Je ne pouvait pas dire si on marchait droit, mais, on tenait debout.

Quand j'ai franchi le pas de la porte, j'ai senti mon estomac se retourner et j'ai su que l'alcool n'était que de passage dans mon estomac.
Je savais où était les toilettes, à vrai dire, je savais exactement où était chaque objet de cet appartement. J'ai tout vécu ici. Des soirées bière-pizzas-canapé. Les soirées où on a fini completement déchirés, dans les bras l'un de l'autre. Les après-midi où je me sentais déprimée et où sa main frottait mon dos, ses lèvres sur ma tempe. Ces moments où il me confiait ses doutes, où j'écoutais son coeur battre, ma tête contre son torse.
Tous ces moments, ces fous rires, ces engueulades.
Je passais ma main sur mes côtes, c'était la première et dernière fois qu'on en est venu aux mains, ou plutôt aux pieds. Un coup de pied, lit d'hôpital. Je pouvais même lui en reparler, il s'en voulait toujours.
Je sortais des toilettes en souriant; on en aura vécu des trucs, mais cette nuit était la dernière.
Encore ce canapé. J'ai ri.
-Le soleil ne se lève que dans deux heures.
Je savais ce qu'il voulait dire. Il a souri en retirant sa veste. Il était assis, les bras le long de son corps, je lui ai rendu son sourire et je me suis levée.

Je goûtais les plaisirs charnels une dernière fois.
On l'avait fait sur le canapé mais peu m'importait, je le sentais au dessus, en dessous et en moi, il était partout, ses lèvres sur mon corps, ses mains qui tenaient mes hanches, ses coups de reins plus tellement réguliers. Sa respiration si lourde était accompagnée de gémissements, une pellicule de sueur recouvrait nos deux corps en transe.
Même si il les avait caché, je les avais vu.
Ces larmes, qui avaient coulé le long des joues de cet être au dessus de moi, cet être aux allures un peu brute mais pourtant si fragile.
Ces mêmes larmes étaient tombées sur ma joue et mon menton avant de couler dans mon cou, il m'avait souri, il pensait que je n'avais pas vu.

Une heure que son corps nu se reposait sur le lien également nu. Sa peau était chaude, contrastant avec la froideur de la pièce. Sa tête était nichée dans mon cou, je sentais son souffle s'échouer sur ma clavicule.
Ses larmes, il ne les cachait plus, je l'avais poussé pour pouvoir me lever.
On s'était rhabillé, je l'avais laisse pleurer.
-On a dit que c'était la fin, tu peux encore partir.
J'avais dit ça d'un ton dur, je ne voulais pas qu'il se sente obligé de venir avec moi.
-Non, on a dit que c'était la dernière , c'est la dernière.
Il s'était rassis sur le canapé et j'avais regardé l'heure. 5:27. Le soleil devait se lever dans moins d'une heure.
J'avais ouvert ce placard pour les prendre. Et de la vodka, putain, combien de cuites j'm'étais pris avec ce liquide dans mes veines ? Ce nombre est bien trop grand.
J'avais posé tout ça sur la table basse. J'étais retourné, en face de nous : le mur, et sur la gauche, une fenêtre. Je venais de remarquer qu'il y avait des volets, fallait dire qu'on avait la flemme de les ouvrir, donc on les fermait jamais.
On pouvait, de cette fenêtre, apercevoir la rue, les passants, et tous les autres immeubles. Si on voulait voir le soleil, c'était plus complexe dans cette ville, dire qu'il faisait beau c'était mal regarder le ciel, très mal.
Pourtant, pour la dernière, le ciel était entièrement dégagé. On pouvait voir quelques nuances de rose et de jaune là-bas , vers l'horizon, faisant une cassure entre la terre et le ciel encore un peu sombre et étoilé par endroit.
Le soleil, indéniablement, commençait à se lever, oui, je l'avais vu. Lui aussi l'avait vu, j'avais senti sa main se crisper autour de mon bras et vu sa machoire se serrer.
À peine l'idée m'avait traversé l'esprit, lui, il l'avait déjà exécuté. Il tenait le verre dans une main, et les cachetons dans l'autre main. J'ai rempli son verre de vodka et j'ai gardé la bouteille, il en pris un, j'ai suivi, puis j'en ai repris un, et c'est lui qui a suivi.

J'en avais pris 7, ou 8, je ne savais plus, mais il en avait pris autant que moi, c'est tout ce qui compte.
J'avais très envie de dormir. Était-ce parce que ça faisait deux jours que je n'avais pas dormi, que j'étais confortablement installée dans ses bras, que j'étais encore plus bourrée qu'en sortant de boîte, ce que je pensais impossible jusqu'à cette instant, ou alors, c'était juste à cause de ça, ce qui voudrait dire que c'est bel et bien la dernière.
Il ne tremblait plus, il semblait...reposé. Ses yeux étaient ouverts et ne présentaient aucune trace de fatigue, cependant, à son regard pose sur moi, il savait que, si il fermait les yeux, il ne les ré-ouvrirait jamais. Il avait ouvert la bouche pour me dire :
-Ça va ?
- Oui.
- Ça ira ?
- Je pense. Et toi ?
- Je ne tremble plus.
- Je sais mon grand.
-Tu vas me manquer.
- Je pars avec toi idiot.
- Je sais. Je ne voyais que toi à mes côtés pour faire ça.
-Tu sais pourquoi ?
- Oui, parce que.
- Oui, moi aussi.
Mon regard s'était encré dans le sien puis, il s'était levé.
Partir sur le canap', oui, mais dans de bonnes conditions.

Lui, moi, sur le canapé, devant nous, sur la table basse, des chips, de la bière, mais ma tête tournait énormément.
Dans mes mains, une manette; tout comme dans les siennes, ses yeux étaient rivés sur l'écran.
-Tu m'as l'air en forme.
- Si tu savais ma chère, j'ai mes paupières aussi lourdes qu'enclume. Ma gorge me brûle et ma tête menace d'exploser...
-Hmm, la même.
- Je gagne là miss.
-J'ai toujours été nulle à ce jeu.
- Pas qu'à ce jeu, je te rassure.
-Eh!
-Oh, le petit chat va pleurer ?
-Hmm...
Le jeu était mis sur pause, il souriait encore.
Je m'étais mise à l'opposé, et j'avais fermé les yeux, je ne sentais plus mes mains, ni mes pieds.
Dans ce que je pensais être mes derniers instants je m'étais demandé ce qu'allaient penser les autres quand ils l'apprendront. Je me disais qu'ils seraient dévastés et qu'ils se demanderaient "pourquoi?", ils culpabiliseraient en se disant que si on l'a fait c'est parce qu'on était malheureux et qu'eux n'avaient rien fait.
Chez nous, la mort est vu comme quelque chose de triste, voire de "tabou", dans l'église, c'est un péché de se suicider, mais ce n'est pas à Dieu de me dire quand je dois mourir, je saurais le prouver. Dans certains pays, comme au Mexique, ils fêtent "la fête des morts", chez eux, c'est quelque chose de normal, et cette fête est une des plus joyeuses de l'année.
Chacun à sa vison de la post-mort, dans certaines religions, si on a été honnête, on va au paradis, et si on a péché, on va en enfer, ou encore on se réincarne.
Est-ce que j'irai en enfer ? Au paradis ? Est-ce que je reviendrais sur terre ?
Où que j'aille, ça sera avec lui.
Ma vision de la mort était si futile, moi j'en avais juste marre de cette vie, je voulais recommencer, et c'était la seule solution qu'on avait trouvé.
Soudain, j'avais ouvert les yeux, sentant ses douces lèvres embrasser ma joue, puis mes lèvres.
-Tu te sens partir là?
- Je n'ai plus de force...
- Viens.>>
À peine avais-je posé ma tête sur son torse, je n'entendais plus rien.
Bientôt, nous n'entendions même plus nos coeurs battre.

Guillaume devait passer chercher son ami à l'appartement, sûrement serait-elle là aussi, mais il s'en fichait car il la savait importante aux yeux de son ami, et d'un point de vue personnel, il adorait cette fille.
Il montait les escaliers et fut surpris quand il remarquait que la porte de l'appart était grande ouverte, il fronçait les sourcils.
Il entrait. Ils avaient l'air si reposé, détendus.
-Debout les...
Elle était froide, lui aussi. Pas de pouls, de souffle.
Non.
C'est juste lui.
Pas maintenant. Pas déjà.
C'était sérieux ?

-Eh mec, pourquoi t'as une bouteille de vodka avec des cachets dans ton placard ?
-C'est pas à lui, c'est à moi!
- Eh! C'est à nous!
-Ben ok, mais ça sert à quoi?
-C'est un jour, quand on en aura marre de la vie, on se bourrera la gueule en boîte et on avaler ici ces cachet pour partir de cette vie de merde haha.

Il ne l'avait pas cru, c'est vrai, il l'avait jugé trop bourré pour être sérieuse.
Pas si tôt, putain. Ils avaient encore tant de choses à faire, à se dire.
Il souriait, ils sont partis ensemble au moins, ils tenaient leurs promesses...

-À la vie, à la mort.
- Moi je veux partir.
-Vraiment ?
- Oui.
-Alors, je viendrais avec toi.
-Promis?
-Promis princesse.

OS [orelsan]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant