DIX-HUIT.

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18 dec 08.

On a raccroché depuis peu mais je fais les cent pas chez moi et je suis partagé entre la peine et la colère. Je ne comprends pas pourquoi cela m'arrive à moi et surtout, maintenant.

Et tu veux savoir ce qui est drôle, Lise ? C'est que le cancer rapporte plus d'argent vu que tous les séropositifs sont en Afrique. Et on veut nous faire croire que seuls les gays sont malades en Occident mais c'est faux ! Et quand je serai mort, on dira qu'une pneumonie m'a emporté. Ou un cancer, justement ! Mais s'il te plait, ne les laisse pas dire ça.

Toute ma vie, j'ai dû revendiquer que j'étais bisexuel. Etre condamné car j'ai couché avec un homme séropositif, c'est mal mais ce n'est pas mal d'avoir couché avec des hommes. Surtout pas Sam.

Tu sais, je l'ai vraiment aimé. Je pensais finir ma vie avec lui mais ma vie va bientôt s'achever et il n'est pas là. Toi, si.

T'as toujours été là, Lise. Ca fait trois ans qu'on ne s'est pas vu mais il ne se passe pas une seule journée sans que tu occupes mes pensées – surtout ces temps-ci. Décembre a toujours été notre mois. Et je sais que je pourrais t'appeler tous les jours ou t'envoyer des mails mais j'aime t'écrire des lettres. Presque 20 ans sont passés et regarde-nous !

Je suis seul mais cela me convient. J'ai un fils, une ex copine qui me soutient et un job de rêve. J'ai une belle maison que j'ai construite et bientôt, j'aurai un chien. Mais surtout, je t'ai toi, ma Lise. Et toi, tu es plus divine encore !

Je venais d'apprendre la nouvelle quand tu m'as appelé donc je suis désolé pour le manque de réaction. Je suis fier de toi pour ce nouveau poste. Tu mérites de faire un travail qui te plait et qu'on te reconnaisse à ta juste valeur. Je n'ai jamais douté de toi. Ca m'a surpris quand tu as choisi le droit mais lutter contre les inégalités, c'est tout à fait toi (enfin, c'est surtout moi mais tu sais comme j'ai horreur des robes noires !)

Et je suis désolé si je divague, je crois que j'ai eu la main lourde sur le whisky.  Je n'aime pas tellement ça en plus mais l'alcool a le moyen de mettre mon cerveau sur pause au moins le temps que je respire.

J'ai le cœur en vrac et j'arrive plus à réfléchir. T'es pas là et tu me manques. Et tout ce que j'entends autour de moi, c'est le silence et la voix de ce foutu médecin qui me répète « Monsieur van Andel, vous êtes atteint du virus du VIH ».

Je sais que Sam est malade, il me l'a dit, mais je ne pensais pas que mon premier amour mènerait à ma perte.

Par chance, ni Mylie, ni Louis, ne sont malades.


Je comprends même pas comment j'ai pu passer 10 ans de ma vie à être séropositif sans le savoir. Faut dire que je ne tombe jamais malade d'habitude et la seule fois où ça m'arrive, il faut que cette foutue maladie soit incurable et mortelle.

J'ai le sida. Je me suis entraîné à le dire pour pouvoir l'annoncer à mes parents mais je n'en ai pas le courage. J'aimerai que tu sois là. J'aimerai tenir ta main dans la mienne et sentir ton parfum de jasmin et d'amande douce (l'as-tu changé depuis tout ce temps ?).

J'aimerai que tu me regardes dans les yeux comme tu sais si bien le faire et que tu me dises que tout va bien se passer. Mais comment pourrais-je avouer à ma mère que le garçon qu'elle a mis au monde il y a vingt-huit ans va mourir ? Et puis, il y a Jaap. Et Louis... Il est trop petit pour comprendre et pourtant, à chaque fois qu'il me regarde, je sens mon cœur se briser. Il sait. Je suis sûr qu'au fond de lui, il a compris que son papa ne sera pas toujours là pour souffler ses bougies d'anniversaire.

Et toi, ma Lise... Qui sera là pour prendre soin de toi quand j'aurai disparu ?


Je ne serai jamais prêt à te quitter. Tu vas tellement me manquer quand je serai parti... Mais je ne peux pas t'emmener avec moi dans la valise de mon cœur car là où je vais, tu ne peux me suivre.

Je n'ai pas voulu te donner des détails de la maladie au téléphone. Je savais que tu avais besoin d'encaisser la nouvelle d'abord. J'ai vu trois médecins depuis mais il y a peu d'espoir pour moi. Je tente la trithérapie mais c'est comme jouer à la loterie dans mon cas. La récompense donne envie, on tente tous notre chance mais au final, il ne peut y avoir qu'un gagnant. Et je le sais, ce ne sera pas moi. Je vais m'affaiblir et bientôt, mon système immunitaire sera trop faible pour lutter contre les maladies et infections. A ce moment-là, on me mettra en chambre stérile et on attendra que la mort vienne frapper à ma porte.

J'espère qu'elle aura ton visage – la mort. Ce sera plus simple pour moi de la suivre si je reconnais un visage familier.

Je ne sais pas comment terminer cette lettre car, comme mon combat contre le VIH, il n'y aura jamais de fin. Alors, je finirai par te parler de cette exposition que j'ai vu le mois dernier, dans ton pays. Je ne t'en avais pas parlé car sur le coup, je ne lui avais rien trouvé d'extraordinaire mais maintenant que je m'apprête à mourir, les décors de Kyôto me paraissent plus beaux que jamais. Et les animaux peints par Maruyama Okyô continuent de hanter mes songes...

K.

... et t'attendre à NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant