VINGT-DEUX.

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Samedi 22 décembre 2012,

Lise,

Je sais que mon ton doit te sembler présomptueux mais si je te reviens aujourd'hui, c'est pour parler affaire. Ou non, pas tout à fait. Je voulais te parler d'un musée que j'ai visité le mois dernier et je n'avais pas encore eu l'occasion de le faire jusqu'à présent. A vrai dire, j'avais peur que tu m'en veuilles.

J'étais à Berlin, le mois dernier. Cela faisait longtemps que je n'y avais pas été et même si les deux pays sont frontaliers, je n'ai pas osé te rejoindre. J'avais peur que tu m'en veuilles encore pour mon absence et quelque part, je cultive ce sentiment en refusant que tu m'appelles. J'ai peur que tu ne me reconnaisses plus, que tu trouves ma voix plus grave, que mon humour ait fané et que tu ne retrouves en moi que le vieillard que je suis devenu. Parce que c'est voilà la vérité, Lise : Tomber malade, c'est devenir vieux avant l'heure.

Ma peau se flétrie par endroit, j'ai le ton rauque et de violentes quintes de toux m'empêchent de m'exprimer librement. Alors, j'écris – quand mes mains ne tremblent pas. Et quand la douleur est absente. Je ne pensais même pas réussir à t'écrire vingt-cinq lettres à cause des spasmes et de toutes ces choses qui te tueraient, si je te les contais. Ma vie m'est devenue difficile mais je tiens bon, Lise. Regarde, je suis toujours là, vivant, à faire le tour des musées allemands.

Berlin a perdu de sa splendeur. Je suis tombé dans la période la plus creuse du mois mais les habitants ont gardé leur chaleur. J'avais l'impression de retrouver cet Amsterdam que j'aime tant. Les vélos y étaient moins nombreux mais j'ai pu y manger des zoute, des pepernoten et même des Speculaas (alors que ce n'était pas encore la Saint Nicholas ! Penses-tu encore à moi pendant cette journée ?)

Et comme je te l'ai dis, j'y ai visité un musée. Plusieurs, même. Mais il faut que je te parle de ce tableau. Je crois que, de toute ma vie, je n'en avais jamais vu ainsi beau, grandiose, émouvant à sa manière. Je sais que je ne suis pas le genre d'hommes qui avoue facilement ses sentiments mais ceux que j'ai ressenti devant cette œuvre, ils étaient bien réels, Lise. Et tu sais quoi ?

Je ne vais pas te dire de quel tableau il s'agit. Peut-être iras-tu toi-même en Allemagne pour découvrir de quoi je parle mais fais attention, l'exposition est éphémère. Peut-être auras-tu déjà deviné duquel je parle. Mais pour l'heure, je dois parler de fleurs. Pas de celles de Monet, pas d'aquarelle non plus. Non, cette fois, c'étaient de vraies fleurs. Si réalistes. Belles. Non coupées. Je devrais peut-être parler de plantes, alors ? Je ne sais pas. Mais quand mon regard s'est posé dessus, je me suis rapproché, pensant pouvoir en humer le parfum. Malheureusement, je n'ai pu sentir que le Chanel N°5 de ma voisine. Et à la question « depuis quand as-tu un nez si fin et reconnais-tu les parfums des femmes ? », je te répondrai que la vie luxueuse en Suisse m'a changé. Je n'y peux rien, Lise, je ne suis qu'un homme. Un homme qui est tombé en amour devant des fleurs dans un pot. Pourtant, elles n'étaient qu'un élément qui abritait le décor qui en contenait tant d'autres.

La scène se situait dans une chambre mais au loin, on voyait une fenêtre et on devinait la neige qui s'accumulait sur les trottoirs de la ville. Pourtant, on ne les distinguait que trop peu, à cause de la pénombre. Et en premier plan, on y découvrait une femme. Nue. Elle avait de jolies courbes et ses formes étaient surtout concentrées au niveau de ses seins et ses cuisses. Je devinais ses iris bleus ou peut-être verts, comme les tiennes. Mais je ne pus les voir. La muse avait fermé ses paupières. Elle semblait bercer par un doux rêve, un sourire s'était glissé sur ses lèvres. Fines, douces. Cette bouche avait dû donner bien du plaisir à des hommes. Mais à présent, jamais plus elle ne donnerait de baisers.

... et t'attendre à NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant