Chap 6. La séduction

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Orphée était tellement plongé dans ses pensées, derrière sa frange et ses lunettes, qu'il n'avait pas tout de suite remarqué la petite personne qui les attendait sur le perron.

C'était une vieille dame frippée, sûrement plus vieille que sa grande-tante. Elle portait une tenue noire et un sourire gâteux. Qui était-elle ? Orphée s'apprêtait à poser la question, mais à la vue de Tåvie, il se ravisa. Elle s'était asséchée sur elle-même, comme un bâton au sucre qui venait de passer sous l'eau. Son visage avait perdu encore plus de couleurs et elle semblait fermée, à toutes tentatives de discussions quelconques, par gestes ou par mots. C'était cette vieille femme, qui la mettait dans un état pareil ?

  -Tåvie, mon ange !

Tåvie, au plus grand étonnement d'Orphée, ne lui accorda pas une once de son regard et l'écarta comme un vulgaire déchet, avant de pénétrer dans la maison à grands pas, ses nattes blondes volant derrière elle. Orphée était resté bouche bée : c'était tellement rude, que ça l'avait cloué sur place. Même à Anima, les disputes n'étaient pas aussi acerbes, par un simple silence.

  -Bonsoir mon cher, qu'est-ce que vous êtes grand ! S'exclama la grand-mère, d'une voix enjouée. Vous semblez mort de froid !

Orphée se tourna vers la vieille femme.

  -Madame... la salua-t-il en se rendant compte, pour la seconde fois, qu'il ne savait absolument pas à qui il s'adressait.

  -Catherine, la grand-mère de Tåvie. Elle lui tournait autour avec admiration. Vous êtes bien différent de notre gratin habituel, bien, bien.

Gratin ? Orphée trébucha sur une dalle du perron et dans sa gêne balbutia quelques mots à peine compréhensible. La grand-mère balaya ses paroles, comme de la vieille poussière.

  - Je me demande ce qui se cache sous cette frange. Par nos illustres aïeuls, mais vous êtes glacé, rentrez mon cher, le Dragon que vous allez devenir, doit apporter fraîcheur, nouveau sang et tout cela en bonne santé !

Orphée n'avait pas compris un traître mot, de cette dernière phrase. Les Dragons ? Le sang ? Mais, il ne disait pas non pour aller au chaud. La buée, une fois à l'intérieur, lui attaqua les verres. Il pu à peine voir un large vestibule, la grand-mère le poussant avec une main sur sa taille, qu'elle s'exclama.

  - Pistache, occupe-toi de monsieur, veux-tu ?

Qui était Pistache ? Il entendit un vague assentiment lointain et quelques minutes plus tard, il montait des escaliers en butant sur les marches. Encore après, il entendit de l'eau couler, ses vêtements se faire enlever et enfin, on le plongea dans un bain.
On lui indiqua que le dîner commençait sous peu et la porte se referma. Orphée se laissa amouracher de ce bain. Il retira ses lunettes et lâcha un soupir de soulagement. Il sentait son sang devenir, autre chose, que de la glace.

Il remarqua, avec sa vue floutée par sa myopie, du carrelage sur les murs, des gravures de lavandières, ou quelque chose qui y ressemblait. Une plante verte, reposait sur un guéridon. Orphée valsa dans ses pensées. À dire vrai, il était perdu. Quelle était cette maison si étrange ? Comment pouvait-il y avoir un jardin automnal, sur un rocher volant en plein hiver polaire ? Qui était cet oncle mystère, qui semblait avoir de l'influence ? Pourquoi Tåvie s'était braquée devant Catherine ? Des problèmes familiaux ?

Orphée soupira. Il leva ses bras vers le plafond. Le lustre offrait une lumière embuée par la vapeur du bain. Il serra ses doigts. Un bruit de cuir. Il avait gardé ses gants de liseur pour éviter de lire tout et n'importe quoi.

Où était-il tombé ? Qu'allait apporter ce mariage ?

Sur ces questions nombreuses et inssuportables, Orphée sortit du bain, se sécha, ébouriffa ses cheveux. Il retourna dans la chambre adjacente et trouva une tenue sur le lit. Sûrement Pistache, qui l'avait posé là. En voyant ses services, Orphée ne doutait plus. Le Pôle pratiquait encore des métiers de l'ancien monde, lié à la domesticité et au service des personnes plus importantes. Il avait étudié un peu de cela, quand il avait encore des livres à porté de mains... enfin. Il n'avait pas le temps de s'égarer.

ORPHÉE & TÅVIE ━゙LA PASSE-MIROIR✔Où les histoires vivent. Découvrez maintenant