chapitre1

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Debout sur le seuil du château San Stefano, Hank Ralfino, comte de Cazlevara, cherchait à repérer dans la foule des invités sa future épouse. Comme il ne l'avait pas vue depuis douze ans, sauf sur une petite photo dans un magazine. Il n'était pas certain de réussir à l'identifier. Peut-être même son regard s'était-il déjà posé sur elle sans qu'il ne l'ait remarquée.

La dernière fois qu'il l'avait vu, elle enterrait sa mère. Tout ce qu'il se rappelait d'elle, c'était un visage triste, d'une pâleur de cire, encadré par une chevelure saine et rebelle. Elle avait alors treize ans. Sur le cliché du magazine, un peu plus précis, elle souriait de toutes ses dents. Mais peu importait son apparence. Seules comptaient les qualités qu'il espérait trouver chez Ariana Viale : la loyauté, une bonne santé, l'amour de la terre et des vignes. Sans parler de la dynastie qu'il créerait, et de l'empire qu'il pourrait bâtir grâce au vignoble que sa future épouse allait lui apporter.


Sous les regards curieux des voisins, des relations et de quelques rares amis, il pénétra à grand pas dans le hall médiéval on chuchotait beaucoup autour de lui car durant ces douze dernières années, jamais il ne s'etait attardé plus d'un jour ou deux en Vénétie. Il préférait rester éloigné de cette région qui lui rappelait un passé douloureux.

-Hank ! Goûte ça. C'est le nouveau vin rouge de Busato. Un mélange de raboso et de molirana. Qu'en dis-tu ? 

Quelqu'un venait de lui mettre un verre de vin rouge rugi entre les mains. Instinctivement, il le leva pour en humer le bouquet épicé et fruité avant d'en boire une gorgée.

-pas mal, se contenta-t-il de répondre.


Il n'avait aucune envie de discuter des mérites de Busato, un petit vigneron qui ne prouvait pas rivaliser avec le domaine familial de Cazlevara, le plus vaste et le plus réputé de la région. 

Et puis il voulait repérer Ariana.

-Alors tu es de retour ? À ce qu'on raconte, tu vas t'occuper du vin ? Insista Paolo un ami de son père.

Avec son visage bonhomme enluminé par la boisson, on lui aurait donné le bon Dieu sans confession.

- Du vin, j'en ai toujours fait. Le château de Cazlevara produit plus de neuf cent mille bouteilles par an.

-Mais pendant que tu parcourrais le monde...

- On appelle ça faire du marketing. Coupa Hank agacé. Mais maintenant je suis de retour ; pour de bons.

De retour pour empêcher mon frère Bernardo de dilapider les revenus du domaine, et son hypocrite de mère de les voler, lui et ses héritiers à venir. Mais ils ne pouvaient rien dire de tel, aussi se força-t-il à sourire même si son regard restait dur.

-Ariana Viale est arrivée ? Reprit-il.

En voyant l'air étonné de Paolo, Hank étouffa un juron. Il voulait toujours aller trop vite. Huit jours, plus tôt, il avait décidé d'épouser Ariana, et il aurait voulu que ce soit déjà fait. À cause de sa précipitation, les commérages risquaient d'aller bon train...

- J'ai quelque chose à lui demander, expliqua-t-il en haussant les épaules, comme si c'était sans importance.

- Je crois l'avoir aperçu près du feu, répondit Paolo avec un petit rire. Je m'étonne que tu aies pu la rater. Reprit-il.

Sans s'attarder sur cette dernière remarque, Hank se dirigea vers la cheminée au manteau orné d'une énorme hure de sanglier. Quelques hommes s'y étaient regroupés pour boire en toute tranquillité. En y regardant de plus près, il aperçut au centre du groupe une silhouette d'une femme.

Ariana Viale

Vêtu sans la moindre recherche d'un tailleur-pantalon informe, et sa longue et épaisse chevelure brune relever en queue de cheval par une barrette. Comme la plupart des invités à cette soirée de dégustation elle tenait un verre. Le regard de Hank s'attarda sur ces traits bien dessinés, mais trop accusés pour qu'on puisse la trouver jolie. Il préférait les femmes plus délicates. Et plus minces également.

Ariana Viale n'était pas grosse, loin de là. Elle avait des formes très féminines, mais la mère de Hank ne se serrait pas privée de la déclarer en surpoids.À cette idée, il grimaça : il avait hâte de voir la tête que ferait cette vieille sorcière quand il lui annoncerait son mariage ! Cet imbécile de Bernardo son petit chéri, n'hésiterait donc pas, et le plan qu'elle avait ourdi dès qu'elle avait pris naissance du testament de son mari resterait lettre morte.

Hank sourit amèrement à cette pensée. Pour lui, peu importait la physique de sa future épouse. Au contraire, même les belles femmes s'étaient jamais satisfaite de rien, à l'exemple de sa mère ou de sa dernière maîtresse qu'il avait quitté parce qu'elle n'arrêtait pas d'exiger de lui plus de temps, d'argent et d'amour.

Ariana, il en était convaincu, saurait de contenter de ce qu'il voudrait bien lui donner ; elle le remercierait même vraisemblablement. C'était ce qu'il lui fallait une épouse humble et reconnaissante.



Le ténébreux ItalienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant