Chapitre 6

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Elle sentait peser lourdement sur elle son regard estimatif qui la déstabilisait. Dans sa vie bien contrôlée, elle n'avait guère occasion de se sentir jugée, sur tout au sein de son royaume personnel.

- Même s'il est parfois possible de marier les affaires et le plaisir... Déclara enfin Hank sur un ton lourd de sous-entendus.

Sans comprendre où il voulait en venir, Ari hocha sa tête.

-Sans doute. Je dois vous avouer que je ne comprends pas l'objet de votre visite. Naturellement, je suis ravie de vous savoir de retour en Vénétie, mais pour être franche, vous n'avez pas grand  chose à me dire.

Elle retint sa respiration. Voilà. C'était dit. Un peu prudemment peu être, mais tant pis ! La présence de cet homme, si confiant en lui, arrogant même, si viril, la troublait. Le cœur battant, les paumes moites, elle sentait s'éveiller en elle un étrange désir.

Comme il se penchait pour reprendre son verre sur la table basse, les effluves faiblement musqués de son eau de toilette parvinrent jusqu'à elle. Quand elle se carra instinctivement dans le canapé, leurs regards se croisèrent, mais celui de Hank restait impénétrable.

- Je suis venu vous inviter à dîner. 

Les mots s'égrènent dans la tranquillité de la pièce en même temps qu'il résonnait dans le chaos de son cœur incrédule. De quel genre d'invitation s'agissait-il ? Brusquement, elle fut submergée par un vague bonheur. Quand un homme comme Hank Ralfino l'avait-il invité a dîné pour la dernière fois ? Les joues en feu, elle avala une gorgée de citronnade pour se donner une contenance. 

- Je vois que je vous ai surpris, nota-il.

- Oui. Cela fait des années que nous ne sommes pas vus. Et de toute façon...

Elle se mordit la lèvre, assez fort pour sentir le goût métallique du sang dans sa bouche ; au sourire que lui adressa Hank, elle sut que cette marque d'anxiété ne lui avait pas échappé.

-De toute façon... ? Reprend Hank.

-  Je ne suis pas exactement le genre de femme qui...

Elle s'arrêta brusquement, consciente d'en avoir trop dit. Elle ne savait pas mentir. 

Pas même dissimuler, mais seulement dire la vérité, comme elle l'avait toujours fait.

-Le genre de femme que j'invite à dîner? Comment le sauriez-vous?

- Je l'ignore. Tout ce que je sais... Je suis surprise, voilà tout ! Jeta-t-elle, agacée par son propre trouble bien trop manifeste à son goût.

Sans répondre, il lui jeta un regard impénétrable. Elle reposa sa citronnade sur la table, envahie par d'affreux souvenirs : le rire cruel de ses camarades de pension, les interminables soirées dansantes dont elle passait les doigts crispés sur un verre de punch, e regretter de ne pas être invisible. Des images cruelles qui lui serraient encore le cœur et que ravivaient les attentions de cet homme, et son mépris sous-jacent.

- Je vois.

Au ton qu'il employa, elle comprit qu'il lisait en elle comme dans un libre ouvert. Mais elle n'avait que faire de sa pitié.

-J'ai une affaire à vous proposer, reprit-il.

Les yeux d'Ari s'écarquillèrent, et son visage s'empourpra. Pauvre idiote, qui avait cru que Hank Ralfino voulait sortir avec elle ! Naturellement, il s'était bien gardé de la détromper se plaisant sans doute à la voir s'enferrer dans son horrible aveu '' je ne suis pas le genre de femme...'' Il avait parfaitement compris, et son regard, elle savait qu'il était de cet avis, comme tant d'autres avant lui.

- Une affaire à me proposer ? Répéta-t-elle après un long silence. Évidemment...

-Peut-être pas du genre auquel vous vous attendez.




Ana s'efforçait de sourire, la gorge encore serrée par l'humiliation.

- Vous m'intriguez.

-Tant mieux. Vendredi soir , est-ce possible?

-Très bien.

Inutile de faire la mine de consulter son agenda. Hank semblait lire dans ses pensées.

- Je passerais vous prendre à Villa Rosso.

- Je peux vous rejoindre...

-Je vous emmènerais dans un endroit particulier, coupla-t-il abruptement.

Un lieu particulier. Comment devrait-elle s'habiller ? Ses tailleurs-pantalons habituels n'étaient guère  adaptés à ce genre de situation, même s'il s'agissait d'un simple repas d'affaires. Depuis des années, elle s'habillait et se comportait non pas comme un homme, mais comme une femme asexuée. Une femme qui se désintéressait absolument de la mode et du désir. De l'amour surtout... C'était plus facile ainsi : elle ne risquait plus que ces attentes soient déçues. Et dîner d'affaires ou pas, mieux valait continuer dans cette voie avec Hank. C'était plus sûr.




Le ténébreux ItalienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant