Je regardai nerveusement les alentours alors que tout le monde se bousculait. Des hommes d'affaires, des mères de famille, des adolescents névrosés qui rentraient de leur cours... Qu'est-ce que je faisais là ?
Je resserrai l'écharpe épaisse que je trimbalais toujours avec moi en soufflant, un peu perdue. Mes mains commençaient déjà à devenir moites et collaient au plan que je ne lâchais pas depuis quarante minutes déjà. J'avais dû passer par un dédale inlassable de rues minuscules terrées entre des immeubles gigantesques qui ruisselaient de passants. Cependant, eux, maîtrisaient parfaitement leur itinéraire. Tout ce que j'étais bonne à faire était d'essayer vainement de suivre le chemin que Aria m'avait envoyée deux heures plutôt.
— Tu verras, ça va être le plus grand événement du mois à Brooklyn, m'avait-elle hululer. Et, j'ai eu les meilleures places, tu te rends compte ?
Non, justement. Quel était l'intérêt ? Elle avait refusé de me dire de quoi il s'agissait parce qu'elle savait que dans le cas contraire, je ne serais jamais venue.
Une vibration dans ma poche me fit sursauter. J'attrapai mon portable et lus le numéro qui m'était totalement inconnu. Mon nez se fronça, quelques secondes furent nécessaires pour que des frissons et des picotements incurables me caressent le dos. Mon index resta figé au-dessus de l'écran, comme si le temps s'était figé sur ce moment précis. Un éclair de cheveux à peine plus courts que la hauteur d'un doigt jaillit devant mes paupières, un regard bleu plus glacial qu'une oasis me fit imperceptiblement déglutir. Non...
Est-ce que j'allais encore réagir à chaque numéro qui me passait sous les yeux en craignant que l'impossible n'arrive ? Je fermai mes yeux, soufflai ce qui me restait d'air dans les poumons puis rouvris les yeux dans une lenteur désespérante. Tout ce qui restait de l'appel était maintenant une petite notification signifiant que je l'avais raté.
J'eus à peine le temps de relever la tête qu'un autre numéro s'afficha. "Propriétaire". Misère. Une grimace me déforma le visage et d'un seul coup, je balayai l'appel. Cela faisait un an que je vivais en colocation et mon bail se terminait bientôt. J'étais en première année de psychologie et je souhaitais profondément entamer ma deuxième. Cependant, j'avais les poches vides. Je cherchais un job depuis un an mais rien ne s'était présenté à moi. J'étais incapable de tenir un plateau sans faire tout renverser, prendre une commande correctement ou savoir conseiller une cliente sur quel vêtement lui scierait le mieux. Avec un sens de la mode peu fiable et une maladresse inquiétante, je n'étais bonne à rien... Or, j'évitais déjà les appels incessants de mon proprio depuis deux semaines et je savais que cela ne pourrait que mal se terminer si je ne trouvais pas un travail très vite.
Encore recouverte d'un léger filet de sueur, j'essuyai mon front. J'avais encore le temps... Un temps que j'utilisasse pour sortir sans savoir où j'allais précisément. Je soupirai de consternation. Depuis un an, je tentais de faire les meilleurs choix possibles, d'oublier les noirceurs de mes cauchemars, de vivre une vie aussi douce et invisible que possible mais en y songeant plus fermement, je cumulais des erreurs qui me coûteront certainement cher un jour où l'autre.
En plissant les yeux, à quelques centaines de mètres de là, je perçus un énorme bâtiment recouvert de plaques de verre légèrement teintées, absorbant les derniers rayons du soleil si pourpres et si lumineux. On aurait presque dit qu'elles les avalaient toutes crues et les faisaient disparaître goulûment. Il était impossible de voir ce qu'il s'y passait à l'intérieur. Des piliers aussi gros que deux maisons enchevêtrées dévoilant une énorme porte d'acier indiquaient l'entrée. Juste au-dessus, dévalant un quart de l'autre façade à son bord, une énorme affiche éclaboussée de couleurs vives en lettres de feu resplendissait de tout son soûl. Deux dos ombrés s'entrechoquaient à coups de poing et au milieu, les lettres décrivaient des angles et des arques fabuleux. "REPTILE VS HIDDEN ! QUI ACCEDERA À LA FINALE ?"
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K.O
RomanceBelle pourrait être la définition de la candeur et de la timidité à l'état pur. Victime d'un passé dont elle en a tiré tant de cicatrices, elle emménage à Brooklyn dans l'optique de tout recommencer à zéro. Priam Hidden, lui, est le boxeur du moment...