Histoire 10 : Une interview tout ce qu'il y a de plus banal

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Je crois qu'il est aujourd'hui temps pour moi de me lancer. De raconter, expliquer, faire la lumière sur ce qui est arrivé ce soir-là, avec cet homme si mystérieux. Arrivée devant la journaliste qui me regarde avec sa fausse compassion, je suis tentée de faire demi-tour. Les caméras, les costards, les micros, les fiches de questions... Tout cela ne me rappelle que trop bien cette fameuse nuit. Depuis ce jour, jamais je n'avais accepté de refaire une interview de ma vie, jamais. J'en ai fait des cauchemars. Mais aujourd'hui, pour ma famille, mes amis, les autres, je vais raconter. Tout raconter. Alors je m'avance et quand on me pose la première questions, je commence à raconter.

" Bonjour, je m'appelle Juliette Deshauts. Ça c'est passé il y a cinq ans. J'en avais alors 22."

Ma voix est rauque, comme si je n'avais pas ouvert la bouche depuis des lustres. J'ai soif, mais ne réclame pas d'eau. Maintenant que je suis lancé, je ne dois plus m'arrêter. Ou sinon je ne finirais pas mon histoire.

"J'étais la nouvelle petite vedette, la jeune prodige du patinage artistique. J'égalais et même surpassais les plus grands champion, on me destinais à un grand avenir, glorieux et brillants. Les interview, j'en faisais beaucoup. Les journalistes me voulaient tous. Mais celle-ci fut ma dernière."

Tous le monde boit mes paroles, suspendus à mes lèvres. Après tout, le paranormal n'est pas une chose certaine et fascine bien des gens. Et alors que je raconte, le souvenir revient, plus fort que jamais, plus précis qu'il ne l'a jamais été.


Ce jour-là, je devais encore en faire une, sur mes rêves, ma carrières et ma vie. Une interview tout ce qu'il y a de plus normal. Les journalistes étaient venus chez moi et s'étaient installés comme il leur convenait dans mon appartement de ville. Chaque personne se montrait investit, parlait, écrivait ou enregistrait. Seul un homme ne faisait rien. Étrangement, il restait dans son coin, le chapeau baissé et les bras croisés. Il m'avait tout de suite intrigué, et j'avais la désagréable sensation qu'il m'épiait. Mais après, je me disais que c'était peut-être un fan trop intimidé pour venir me voir, et personne ne semblait lui en tenir rigueur. J'aurais du me douter qu'il n'était pas normal. L'interview avait commencé, le journaliste qui me posait des questions était très sympathique.

Mais malgré toute la concentration dont j'étais alors capable, mon regard revenait sans cesse à l'homme. Bizarrement, tout le monde semblait ne pas le voir. Durant toute l'interview, les gens de l'équipe passèrent devant sans lui parler, sans un regard. A un moment donné, je lui fit un sourire qu'il me rendit, sa bouche étant la seule partie du visage que je pouvais voir. Mais ce n'était pas un gentil sourire, c'était un sourire qui en disait long sur lui. Finalement, l'interview finit,  j'offrais un café aux travailleurs.

- Dîtes-moi, demandai-je à une femme, qui est cet homme ?

La femme regarda dans la direction que je lui indiquais, mais eu une réaction qui m'effraya aussitôt : elle éclata de rire.

- Bien joué jeune fille, j'ai vraiment cru que tu me désignais quelqu'un. Allez, on va y aller nous. Merci pour le café.

Éberlué, je me retournai et vis que l'homme était toujours là, en face de mon doigt. Comment avait-elle pu ne pas le voir ? L'équipe rangea les micros et les papiers, ramena les caméras, et partis dans leur camion. A mon grand soulagement, l'homme étrange avait passé la porte avec eux et je l'avais refermé en vérifiant qu'il n'était pas rentré une nouvelle fois. Après m'être morigéné un bon quart en me disant que je me faisais des films pour rien, j'étais allée prendre un bain.  Et c'est là que tout avait basculé.

Je vivais avec un colocataire, mon petit ami qui l'est toujours d'ailleurs. Il était à son campus, faisant encore des études, et ne reviendrais que dans une heure. Mais alors que je me détendais dans l'eau chaude, un bruit de craquement m'avait fait ouvrir les yeux. Le tableau de ma salle bain bougeait. Stupéfaite, je n'avais rien fait. Puis, une silhouette en était sortit. L'homme mystérieux. Je hurlai de terreur et aussitôt sortit du bain pour m'enrouler dans une serviette. Lui se contenta de sourire.

- Qu'est-ce que vous faîtes-là ?! Comment êtes-vous sortis de ce tableau ?!

Voyant qu'il avançait, je m'emparais d'un flacon de parfum et lui lançais au visage. Mais le verre passa au travers de son corps et s'écrasa au mur dans un bruit éclatant.

- Qu'est-ce que...

Je refis le même geste, et il y eu le même résultat. Soudain, ses pieds se levèrent du sol et il commença à flotter en me fixant. Il leva son chapeau... Et je vis un horrible visage, déformé, arraché, griffé, boursouflé. Mais le pire était son cou : à moitié coupé.


Je reprends mon souffle en observant le public autour de moi. Ils sont en haleine, attendent de savoir. C'est bientôt la fin de mon récit, ais même s'il est court il a suffit à me traumatiser. Alors si les gens ne me croient pas, tant pis pour eux. Et je reprends le fil de mon histoire.

Il s'approcha lentement de moi, sûr de lui. Sa tête tombait de temps à autre. Lui il était si calme, et moi je criais de toute mes force en essayant d'atteindre la porte de la salle de bain. Que suis-je censé faire face à un ennemi intangible ? Sa main traversa un meuble pour saisir ma jambe. Sa peau était glacé, comme de la neige gelé. Son contact me brûlait tellement il était froid, et de la sueur commença à couler le long de mon front. Il saisit un débris de verre et l'abatis sur moi en faisant trembler sa tête instable. Son corps sans matière, sa façon de voler, sa légère transparence, son rire qui résonnait, son cou... C'était un fantôme, j'en aurais mis ma main à couper. Et sur cette pensée, ce fut lui qui me la coupa. La douleur fut insupportable, insoutenable. Mes oreilles bourdonnaient, et lui criai que sa vengeance sur son assassin était faite. Persuadé que j'allais mourir, je le vis s'évaporer et disparaître. Puis tout devint noir autour de moi, et je ne ressentais plus que douleur sans comprendre ce qui s'était passé.


C'est la ligne droite, je dois avouer le pire, ce qui me fait croire que je n'ai pas rêvée. 

"A la suite de ça, mon copain est rentré et m'a trouvé. Il m'a tout de suite emmené à l'hôpital où j'ai survécu de justesse, même si j'ai définitivement perdu ma main. J'ai du voir un psychologue pendant longtemps et tout ceux qui étaient au courant de la tragédie ont cru que j'avais rêvé cette histoire. Mais moi je n'ai pas pu l'accepter, alors je me suis renseignée."

Je marque une pause et reprends mon souffle.

"J'ai fais d'intense recherche... et j'ai apprit que l'immeuble où je vivais avait été bâtis sur un ancien terrain qui appartenais jadis à un bourreau. Un bourreau nommé Deshauts. Et je me suis rappelée la phrase du fantôme qui me disait que je payais pour l'homme qui l'avais assassiné. Alors à présent, je vis dans la peur qu'il revienne pour finir le travail sur la descendance Deshauts."

Je me lève et quitte la salle immédiatement, sans un regard pour le public stupéfait qui tente de comprendre ce que je viens d'annoncer. Ce soir, si vous prenez un bain et qu'un de vos tableaux bouge, posez-vous des questions sur votre famille...

Le Recueil d'Histoire d'Horreur...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant