Histoire 15 : Mannequin de bois

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Je regardai la vitrine, pensive. Un mannequin de bois était exposé au premier plan, sa main gauche levé et sa jambe pliée comme une danseuse. Une série de huit points noir couraient le long de sa tête. Je me passai une main sur le visage et réfléchis. Sur mon épaule, mon sac en bandoulière pesait lourd et je savais pertinemment que ce poids était du à mes affaires de dessins.

Je glissai une main dans ma sacoche et caressai distraitement mon carnet de croquis, ma boîte à crayon et mon arsenal de gommes. J'adorai dessiner depuis toute petite, alors pourquoi ne pas tester un mannequin de bois ? C'était assez réputé après tout. Et j'aimais bien sa ligne de huit points sur la tête, il en devenait particulier.

Sans tergiverser une minute de plus, j'entrai dans la boutique ancienne, saisissait le bonhomme et me dirigeais vers le comptoir. Ce geste avait été une pulsion, incontrôlable. Étrange. Ça ne m'étais pas arrivée depuis des lustres ce genre d'actions. Le vendeur prit mes pièces avec suspicion, les observa sous tous les angles, puis les compta minutieusement. Après quoi, il les rangea dans sa boîte et me tendit le mannequin. Ses petits yeux porcins me fixèrent bizarrement.

- Prenez-en bien soins. Il n'aime pas ne pas être le centre d'attention.

Je haussai un sourcil.

- Comment ça ?

Mais le vendeur me tourna le dos et partit. Son ventre rebondit eu un peu de mal à passer la porte de son arrière-boutique mais il y arriva tout de même. Je restai un moment immobile, pétrifiée par ce qu'il venait de me dire. Était-il fou ? Aucun mannequin de bois ne pouvait se plaindre. J'eu un mouvement d'épaule et sortit de l'échoppe sans m'attarder d'avantage sur cette phrase. Après tout, ce n'était probablement que le délire d'un vieil homme délaissé.

A peine arrivé chez moi, je testai le mannequin durant plusieurs heures. Et effectivement, avoir un modèle de la sorte sous les yeux aidait grandement à dessiner les positions de mes personnages, à entrevoir la profondeur et leur volumes. 


Etudiante à la fac d'art de la ville, je rentrais chaque soir pour dessiner à l'aide de ce petit bonhomme. Au bout d'un mois, j'avais plus d'une centaine de croquis, image et dessin réalisés à partir de lui. C'était tout simplement magique pour moi de voir mes dessins en face de moi, de pouvoir changer les positions au gré de mes envies ou de mes idées farfelus.

Mais au bout d'un certain temps, la passion pour cette figurine commença à prendre fin. Je trouvais de moins en moins utile de l'utiliser, mon esprit s'étant habitué à imaginer ce qu'il voulait mettre sur papier. Plus le temps passait, et moins je ne le prenais pour l'installer face à moi. Alors un jour, je le pris et le rangeai définitivement dans une boîte afin de faire de la place à un nouveau bibelot trouvé dans une brocante.

- Tu m'auras quand même bien servit, murmurai-je à mon bonhomme.

Pour un peu, je lui aurai presque trouvé l'allure triste. Je caressai une dernière fois ses huit points noirs désormais si familier, pensive. Mais je refermai le carton et le plaçai en haut d'une de mes étagères. En sortant de la pièce, je cru entendre un son étouffé. Mais quand je me retournais, il n'y avais rien.

- J'ai du rêver...

Le soir même, en allant me coucher, ma lampe de chevet mourut. J'avais voulu l'allumer mais étrangement mon ampoule avait grillé, elle qui était pourtant neuve. Je la débranchais, la déposai dans un coin et éteignis la lumière. Soudain, alors que je rejoignais mon lit à tâtons, un bruit se fit entendre. Comme un objet tombé. Je fis aussitôt demi-tour, le cœur tremblant de la surprise occasionnée, et rallumais.

En plein milieu de la pièce, éclaté, gisait le carton où j'avais rangée mon mannequin de dessin. Je fronçai les sourcils. J'avais du mal le reposer au dessus de mon armoire. Mais alors que je le prenais entre mes mains, un craquement me fit faire volte-face. Ce que je vis me glaça les sangs.

Le mannequin en question était debout derrière moi, sa main levé. Comment avait-il pu atterrir ici dans cette position ? Un véritable mystère. L'instant d'avant il n'y était pas, j'aurais pu le jurer, et je n'avais pas quitté le carton des yeux un instant. Que s'était-il passé ? Un peu tremblante, un tic nerveux agitant mon pouce, je tendis la main vers lui. Mais à l'instant où j'allais le saisir, il disparu. Un ci s'échappa de ma gorge et je sautai en arrière, le cœur cognant plus fort encore. La peur me paralysait. Étais-je en train de rêver ? C'était impossible ! Le carton m'échappa des mains et s'écrasa au sol dans un bruit sourd. La phrase du vendeur me revint en tête : Il n'aime pas ne pas être le centre d'attention... Cela pourrait-il être vrai ? Impossible encore une fois ! Mais je ne pus m'empêcher de me dire que le fourrer dans un carton après un mois d'absence était manquer d'attentions.

Soudain, le chuintement d'un couteau résonna à ma gauche. En me retournant, je savais déjà ce que j'allais trouver. Je ne fus pas déçue.


Un mannequin de bois était exposé en vitrine dans une vieille échoppe. Un vendeur aux yeux porcins le mettait en place. Du pouce il caressa doucement le bonhomme.

- Comment ferais des affaires sans toi hein ? murmura-t-il en repartant. J'étais sûr que cette jeune se lasserai de toi.

Il disparu au fond de sa boutique. Et le mannequin ne bougea pas, se contentant d'exposer aux yeux de tous sa ligne de neufs points noir sur son visage.

Le Recueil d'Histoire d'Horreur...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant