19 - La Lune Ardente

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Le noir est une couleur.
Le néant c'est l'absence de tout.
Il n'y a rien. Ni lumière, ni corps, rien que moi flottant au milieu de nul part.


Suis-je morte ?
Est-ce qu'on pense à ça quand on est mort ? Je veux dire, on le sait ou on le devine ?
Comment savoir si je suis morte ?

Isil, tu vas pas mourir, hein ?
Je vois Anar, son doux visage d'enfant tordu par l'inquiétude. J'en sais rien, petit frère.
Je crois que j'ai atteint mes limites cette fois-ci...
L'image se brouille et mon jumeau prend des années. Je le vois comme lors de notre dernière rencontre, avec cet air sérieux que je ne lui aime pas.

– Tu vas mourir, Isil.

C'est une affirmation. Je ne sais pas comment il le sait mais il l'affirme. Je vais mourir... Si ce n'est pas déjà le cas.
Combien de fois ai-je pensé cela au cours des derniers mois ?
Beaucoup trop...

– Anar... Je suis désolée, soufflé-je. Je voulais rentrer après tout ça... Te dire pourquoi j'ai fait cela, t'expliquer pourquoi je devais le faire... Je m'en veux de t'avoir fait souffrir mais c'était nécessaire. Arriveras-tu à me pardonner ?

– Non. Vu que tu es morte.

Logique...

– Je t'en supplie, mon frère, ne garde pas cette image de moi. Je veux... je voulais juste te protéger, changer ce monde pour que des personnes comme toi, si gentilles, si bienveillantes, puissent vivre en paix. J'ai refusé de te voir tomber sous le joule de Saroumane et de sa folie et c'est pour ça que je suis partie... J'ai préféré te faire souffrir moi-même plutôt que laisser un autre le faire. C'est égoïste mais je n'avais rien d'autre...

– Tu as échouée. En mourant, le monde meurt. Tu n'arrêtas donc jamais de me tourmenter ? Tu aimes donc tant ça ?!

Anar cri et ses paroles me font bien plus mal que n'importe quelles lames. Il a changé. La souffrance que je lui ai infligé l'a changé...
Non...
Anar ne peut avoir ainsi changé.

– Tu n'es pas mon frère !

Le regard de Anar est traversé par un éclat de surprise puis il sourit, mais pas le doux sourire que je connais.
Son image se brouille à nouveau puis je hoquette de surprise et surtout rage : Saroumane !

– Tu as perdu, petite Isil, s'amuse t'il. Tu as échoué comme tu as tout raté dans ta vie. Tu es morte.

– NON !



J'ouvre brusquement les yeux.
Ils sont inondés de pluie et de larmes. Je tousse, crachant un flot d'eau. La douleur est atroce.
Mon dos me lance jusqu'à toutes mes extrémités, je n'ai jamais eu aussi mal. Et j'ai froid. Si froid...
Je me concentre sur mon feu mais il ressemble plus à une petite flammèche qu'à un brasier.
Je sais que si cette petite flamme s'éteint, je meurs. Elle est ma vie.
L'image de Saroumane me revient en pleine figure et ma rage gronde mais la flamme reste si frêle. Ce n'est pas la colère, ni même la haine, qui me fait vivre. Plus maintenant.
Je pense alors à Anar, Aragorn, Legolas, Gimli, Elrohir...
Ma famille, mes amis... mon amour...
Soudain la flamme enfle, décuplant sa lumière et sa chaleur. Elle enrobe mon cœur puis se répand dans tout mon être. Je savoure mon feu qui couve sous ma peau.
Je suis idiote d'avoir eu peur de lui. Il n'y a pas de Lui, il n'y a que moi. Juste moi.
Je souris et de l'eau me coule dans la gorge. Je bois avec plaisir, j'ai si soif.
Je vis et c'est tout ce qui importe.
Paralysée par la douleur et l'étrangeté du moment, je reste étendue sur le rebord de ce qui semble être un étroit chemin de ronde. Je suis trempée et essoufflée mais vivante.
Je regarde avec joie l'orage se déchaîner au dessus de moi, même les sons de la bataille me semblent lointain, mais je n'ai pas peur.
Mourir est simple, moi je choisis la dureté de la vie. Et j'envoie se faire foutre tout ce qui pense le contraire. Isil Uruitë, la Lune Ardente, est forte. Aussi forte que cet orage.
Je ris et la douleur me parcourt de toute part. Bon, je suis vivante mais mal en point.
Je tente de bouger mes orteils. La souffrance est telle que ma vision se brouille. J'ai très mal mais je pense que mon dos n'est pas brisé, une chance.
Finalement je peux toujours compter sur ma chance insolente.
Je remue doucement les jambes puis les bras. La douleur me mords avec une force incroyable mais je lutte. Je ne peux pas rester là indéfiniment, enfin jusqu'à ce qu'on me retrouve.
Je cherche la meilleure « méthode » pour essayer de me relever sans trop souffrir quand j'entends un bruit sur ma droite.
Lentement, très lentement, je tourne la tête. Mon casque racle la pierre et de l'eau me rentre dans l'oreille. C'est désagréable mais pas autant que ce que je vois : Une immonde main qui s'agrippe au rebord de pierre non loin de moi.
Ma vision est un peu floue par l'eau et le sang qui me coulent dans les yeux mais je crois reconnaître ce qui se hisse.
Celui, ou celle, qui a dit que la vermine ne meurt jamais avait affreusement raison.
Ma peur revient comme une vague après la chute d'un barrage.
L'Orque.
Lui a l'air plutôt en forme malgré le sang qui coule de sa hanche, il sourit même.
Je remue comme un ver de terre, cherchant mes armes. Ma lame est sagement restée dans son fourreau accroché à mon dos, et qui me fait très mal, mais je vois ma dague non loin. Enfin juste un peu trop loin, je n'arrive pas à l'attraper, je ne peux pas tendre assez le bras pour la saisir. Je tente alors le feu. Il est bien là, irradiant sous ma peau mais impossible de m'enflammer. Je suis trop fatiguée, ou trop trempée, un peu comme un briquet sous la pluie.
Ma peur se mue en panique tandis que l'Orque se rapproche en clopinant. J'essaye de rouler sur le côté mais la douleur menace de me faire perdre connaissance. Haletante, je ne peux que regarder l'Orque s'approcher avec lenteur.
J'attends, je ne peux faire que ça. Il prend son temps et s'approche, savourant l'instant.
Je me mords la joue aussi fort que possible afin de garder un ancrage dans la réalité puis je tends brusquement la main. Je parviens in-extremis à saisir le manche de ma dague tandis que des points noirs dansent devant mes yeux puis je la plante aussi fort que possible dans sa jambe valide.
L'Orque hurle d'un cri de goret avant de chanceler puis de me tomber dessus.
Je cri à mon tour, le corps parcourut d'éclairs de souffrance.

– Sale petite truite ! Gronde l'Orque en se redressant sur les coudes. Je vais t'étriper et...

– Parle toujours, répliqué-je en lui assénant un coup de tête.

Je sens son nez se fracasser sur mon casque mais je n'ai pas frappé aussi fort que je l'aurais voulu. A nouveau la douleur menace de me faire sombrer tandis que l'Orque m'insulte de tous les noms. Il parvient à m'agripper le bras où je tiens toujours ma dague. Il a bien plus de force que moi.
Il lèche alors mon sang qui coule sur ma joue.

– J'aime le goût sucré du sang des Elfes, souffle t'il en extase.

Je passe outre ses commentaires obscènes et j'essaye de me débattre mais en vain. Malgré mes petites ruades et la chaleur de mon feu qui émane, l'Orque reste sur moi.
Je suis dans la pire situation que j'ai jamais connue.
L'Orque projette au loin ma dague Elfique en pestant puis il sort un petit poignard noir comme les ténèbres. Il pointe la lame vers ma gorge, je sens le métal sur ma peau. Je parviens à libérer un de mes bras que je passe sous les siens pour tenter de repousser la lame mais je sais que c'est vain, il a bien plus de force que moi.
Je lutte de toute ma volonté contre sa pression et la douleur qui m'assaille mais millimètres par millimètres, la pointe du poignard se rapproche de ma gorge.
Je peux lutter contre la douleur et le froid, je peux survivre à une chute aussi vertigineuse soit t'elle mais contre une lame je ne peux rien, surtout si elle m'égorge...
L'envie de vivre, la peur et la colère se battent comme des chiens enragés dans mon esprit, je ne peux admettre ma défaite...
Et soudain tout s'enchaîne très vite...

J'entends un bruit de course puis un souffle rauque avant qu'une « chose » hérissée de piques enserre le crâne de l'Orque qui écarquille les yeux avant de pousser un cri plaintif. La « chose » se referme broyant la boite crânienne du monstre.
Je ferme les yeux alors qu'un jet visqueux est projeté sur mon visage. L'odeur et le goût du sang d'Orque envahit ma bouche et je hoquette, luttant contre la nausée.
J'entends le poignard retomber sur la roche puis je sens le poids de l'Orque quitter mon corps. J'hésite, je ne sais pas ce qui vient de se passer mais l'Orque est mort... Dois-je ouvrir les yeux ?
Je n'en ai pas vraiment envie...
Lentement j'entrouvre mes paupières inondées de pluie et de sang. Je vois une forme sombre et immobile tout près de moi. Je cligne des yeux mais je suis incapable de discerner la « chose » qui se dresse à mes côtés.
La peur m'envahit mais soudain un éclair, suivit d'un violent coup de tonnerre, vient me la dévoiler : un Warg.
Le Warg.


Fin du chapitre
Isil s'en sort à nouveau in-extremis grâce à une aide improbable, mais elle reste mal à point.
Le combat s'arrête t'il là pour elle ?

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Tome 2 - La Lune Ardente de FangornOù les histoires vivent. Découvrez maintenant