Chapitre 1

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Ce jour-là, il faisait une chaleur insoutenable. Les engins climatiseurs des habitants du village fonctionnaient à plein régime. Les moins aisés, eux, devaient se contenter de vieux ventilateurs. Dans ce silence ronronnant de cet après-midi d'été, on pouvait percevoir de temps en temps des petits sons répétitifs ; des bruissements de feuilles lorsqu'une légère brise s'aventurait dans l'allée, le moteur d'une voiture qui passait au loin, ou les cris de quelques enfants turbulents qui avaient échappé à la surveillance de leurs mères, probablement trop occupées à rechercher de la fraîcheur par n'importe quel moyen.

Le petit village d'Aurons, dans le sud de la France, était connu pour ses étés diaboliquement chauds et ses hivers particulièrement rudes. Mais cette année était différente. Pour un premier septembre, l'air était irrespirable. Certes, la saison avait eu du mal à s'installer. Les orages avaient été fréquents et le froid avait perduré jusqu'à mi-juin. Puis, d'un coup, comme si un mauvais diable avait appuyé sur un interrupteur, la canicule était arrivée, sans transition. Du jour au lendemain, les chauffages avaient été coupés et les fenêtres ouvertes dans l'espoir d'attirer du vent frais dans les demeures. Les jardins n'avaient pas eu le temps de verdir que déjà les brins d'herbe étaient devenus secs et cassants. Les arbres dépérissaient avant même d'avoir pu profiter des chaleurs printanières.

Les résidents du village, tous des gens bien (oui, chaque maison avait son bac de tri sélectif), accusaient le réchauffement climatique : c'est le présentateur du journal télévisé qui en parlait souvent et le terme ressortait à toutes les sauces dans les conversations. Ils se plaignaient de ces températures excessives, mais ils oubliaient, bien évidemment, que la ville subissait ce genre de variations depuis plus de soixante ans. Quant à l'augmentation des courbes de chaleur de ces dernières saisons, en aucun cas ils ne s'incriminaient d'être la cause de tous ces changements ; il était tout à fait normal d'utiliser les machines mises à disposition pour se protéger du temps qu'il fait. Les climatiseurs réversibles, réfrigérateurs américains, et voitures diesel dernière génération n'avaient donc rien à voir là-dedans.

Nathanaël Parker-Scott avait de la chance dans sa demeure cossue du dix-huitième siècle. C'était une ancienne ferme d'élevage située au nord du village transformée en manoir soixante dix ans plus tôt ; elle conservait la fraîcheur sans utilisation de ces « maudits appareils », comme il aimait les appeler. En effet, la température était tellement agréable que parfois, lui semblait-il, certaines personnes du quartier tentaient désespérément d'entrer dans sa maison les après-midis les plus rudes. Il y avait toujours un prétexte ; Madame Rocchia, la voisine la plus proche, apportait souvent des biscuits dans l'espoir d'être invitée à prendre le thé. La couturière, Mademoiselle Mechouche, rapportait elle-même les pantalons raccommodés de Nathanaël et tenait à chaque fois à lui montrer l'endroit exact où elle avait fait ses points. Il y avait d'autres personnes qui passaient par là pour dire « bonjour », ou pour signaler que la boîte aux lettres avait été vandalisée, ou encore que le portail était abîmé. Nathanaël en vint même à se demander si certains individus ne commettaient pas des petits méfaits uniquement pour le plaisir de l'embêter et profiter de la douceur de son habitation.

La vérité était tout autre. On savait bien dans le village que la richesse de Monsieur Parker-Scott n'était plus à faire. De plus, pour un homme âgé, il avait conservé un certain charme et une allure qui faisait rougir les veuves alentour. Il était grand, très mince, et ses cheveux blancs étaient toujours impeccablement coiffés en arrière. Il portait une barbe parfaitement taillée d'un centimètre environ et ses petits yeux bleus bordés de rides profondes pouvaient faire chavirer le cœur de ces vieilles femmes qui se voyaient déjà à son bras le dimanche. En bref, c'était un parti idéal si l'on rêvait de se faire jalouser par toutes les commères du quartier. Elles s'imaginaient aussi régnant sur cette demeure majestueuse, décorant chaque pièce à leur goût et dépensant sans compter les deniers de leur cher et tendre. Elles passaient donc le saluer tant dans l'espoir de le séduire que pour profiter des avantages d'une telle habitation.

ZéladoniaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant