Chapitre 17

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Il fallut six jours à la compagnie pour rejoindre la bordure de la forêt. Emma ne sentait plus son corps depuis le troisième jour après leur départ. La fatigue et la douleur avaient laissé place à une forme de résignation.

Zara, Luen et Emma parlaient peu entre eux, chacun sachant quelles tâches leur étaient dévolues.

Au fur et à mesure qu'ils progressaient, le temps se faisait plus froid et plus sec. Un vent léger s'insinuait à travers les arbres de la forêt. Emma aimait sentir sa fraîcheur sur son visage, car cela ne pouvait que signifier qu'ils se rapprochaient du Royaume des montagnes. Cela étant, elle était déçue de constater que le comportement de Luen avait bel et bien changé à son égard. Malgré sa prévenance, la présence de Zara semblait retenir les petits gestes anodins qu'il avait pu avoir autrefois, du temps de son apprentissage ; il ne prenait plus les mains d'Emma dans les siennes et évitait tout contact physique, sauf lorsqu'il était question d'aider la jeune femme à avancer à travers le terrain nivelé de la forêt.

Une distance s'était installée entre eux depuis leur départ, ou depuis la conversation sur la mort de Zeyna. Elle ne saurait le dire. Il était clair pour elle que Luen s'était renfermé sur lui-même. Apparemment, même s'il était un ami des Bénis, ces derniers ne lui avaient jamais fait assez confiance pour lui révéler le secret de la vie et de la mort de leur race. Selon elle, il était autant affecté par le décès de Zeyna que vexé de n'avoir pas été mis au courant plus tôt. « L'attitude typique d'un mec », pensait-elle, tout en espérant un jour le retour de leur complicité d'antan.

Lorsqu'ils arrivèrent à quelques mètres de l'orée de la forêt, les trois compagnons s'arrêtèrent un instant. Luen et Emma étaient essoufflés, car il avait fallu escalader une paroi rocheuse et l'ascension s'était révélée aussi difficile que dangereuse. Zara était parvenue au sommet en quelques bons. Emma avait murmuré dans sa barbe « crâneuse », mais pas assez doucement pour que Luen ne l'entende pas. Il avait éclaté de rire manquant de peu de lâcher sa prise et de s'étaler plusieurs mètres plus bas.

La vue, de là où ils se trouvaient, était exaltante. Enfin dégagée d'arbres, Emma était éblouie par la couleur si vive de l'herbe qui s'étendait à perte de vue. Au loin, des montagnes faramineuses trônaient tels des monstres de pierre endormis depuis des millénaires. Le vent lui fouettait le visage et le soleil reflétait de brillants éclats sur sa chevelure.

— Nous sommes au point de non-retour, déclara Luen en contemplant le paysage grandiose. Enfin, surtout pour moi.

Il n'avait jamais abordé le sujet avec Emma, mais elle avait compris depuis longtemps qu'il s'agissait d'un trajet à sens unique pour lui. N'étant ni un Béni, ni l'élu, jamais il ne reviendrait dans la forêt.

— Es-tu sûr de vouloir venir ? demanda-t-elle compatissante devant le sacrifice qu'il s'apprêtait à faire. Zara est avec moi, je serai en sécurité avec elle.

— Je n'ai jamais été aussi sûr, Emma.

Pour la première fois depuis des jours, il lui attrapa la main et la baisa tendrement. Emma eut envie de se jeter dans ses bras pour l'embrasser à son tour, mais Zara s'approcha d'eux et bouscula Luen au passage. Les moments d'émotion n'avaient pas l'air d'être à son goût et elle semblait pressée de traverser la frontière entre la forêt et le royaume de Terramont.

Les trois compagnons avancèrent en ligne les derniers mètres restants. Il y avait une nette démarcation au sol entre celui de la forêt, recouvert de brindilles, et l'autre côté, parsemé d'herbe. C'était un peu comme si les feuilles de la forêt ne pouvaient tomber en dehors, et les plantes de la prairie ne parvenaient pas à pousser sur la terre forestière.

ZéladoniaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant