Jour 40

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Ça y est!! Le Soleil est revenu!!! Ces rayons restent timides, mais c'est tellement agréable! La bonne humeur est à nouveau le mot maître à bord. Les sourires sont sincères. Nous sommes biens. Il s'est arrêté de pleuvoir vers 8h ce matin et le soleil est apparu vers 10h ; nous n'en demandions pas tant, juste la pluie qui s'interrompt, c'était déjà beaucoup pour nous, cela nous suffisait... mais nous n'allons pas refuser du soleil! C'est tellement agréable. Nous nous sentons revivre. Pour fêter ça, Julien nous a fait des crêpes au chocolat au petit déjeuner.

Amalric est à la barre, Snoo est avec lui sur le pont. Élouan se repose un peu. Shan lit un livre. Julien éponge la cale. Pour ma part, je sors sur le pont tout ce qui peut sécher à l'air libre. Au bout de je ne sais combien d'aller-retour entre la cale et le pont, Snoo vient m'aider. Au bout d'une heure peut-être, nous nous asseyons sur le pont, entre les voiles, les couvertures et les cordes qui sèchent. Julien est à la poupe, un livre à la main, Shan s'est assoupi.

« C'est cool qu'Élouan puisse se reposer un peu après les derniers jours que nous avons eu... Ce mec est infatigable! Quand je l'ai rencontré, il était à bord d'un voilier un peu plus grand que celui-là, mais il était pris dans les glaces, et il attendait, patiemment le dégel. Ces collègues avaient lancé une balise SOS pour que quelqu'un vienne les chercher, mais Élouan, parait-il, répétait sans cesse que c'était inutile, que le bateau ne casserait pas. Je voyageais à l'époque sur un bateau de marchandises ; j'étais responsable du contrôle des conditions de conservations des aliments qu'il y avait dans nos conteneurs. Élouan, il connaissait son bateau, il savait qu'il ne casserait pas, il gardait confiance. Mais tu ne peux rien faire face à la glace, elle est plus forte que tout, elle peut broyer le plus puissant des bateau. Il le savait mais il gardait confiance. C'était son premier bateau, il ne pouvait pas l'abandonner. On aurait dit qu'il était fou. Le reste de l'équipage est monté sur notre embarcation pour rejoindre notre porte-conteneurs. Je suis descendu dans la barque avec deux mecs pour aller le chercher, mais ne voulait vraiment pas quitter son rafiot. Et puis, il y a eu un problème au niveau de la barque, une vague trop forte, une corde qui lâche... les deux gars qui étaient avec moi ont chavirés... Nous avions nos bouées de sauvetage, mais dans une eau à deux degrés... Notre équipage n'a pas pu venir nous prendre, Élouan a tout fait pour sauver mes gars, couvertures de survie, massages, tout, mais ils sont morts d'hypothermie devant nous. C'était terrible. Je ne connaissais rien à la navigation, moi je connaissais juste les degrés de conservation des marchandises... Mon capitaine ne pouvait pas amener de renfort et je ne pouvais pas aller le rejoindre. J'étais coincé sur un bateau pris dans la glace, à attendre la mort... Élouan n'arrêtait pas de me répéter que tout irait bien, que tout allait bien finir. Il me rassurait continuellement. Nous n'étions plus que tout le deux sur son grand bateau ; il m'a tout appris. Il parlait avec passion de chaque corde, me montrait patiemment comment faire les bons nœuds,... Et la glace a fini par dégelée... Il croyait tellement fort en son bateau! Il avait une véritable relation d'amour avec son embarcation, c'était dingue! Il n'a jamais douté. Je ne l'ai jamais vu avoir peur. Il a toujours su s'en sortir. Quand la glace a disparu, ses hommes n'ont pas voulu le rejoindre, ils avaient trop peur. J'aurai pu le laisser et remonter voir mes conteneurs, mais je n'en avais plus l'envie. Je suis resté avec lui. Mon capitaine m'a dit que j'allais mourir si je restais sur cette coque, qu'à la prochaine glace, je coulerai à pic. Élouan lui a dit qu'il n'y aurait pas de prochaine glace et il a eu raison. Nous sommes restés tous les deux sur ce bateau pendant douze jours. C'était la liberté. Lui ne dormait jamais, il a été un très bon pédagogue, il m'a tout appris. Il m'a fait confiance. Il est bourru comme ça, au premier abord, mais c'est un cœur tendre, il est très humain, il sait être à l'écoute. Quelques soit la situation, il reste calme. Il m'impressionne. Vraiment. »

Il y eu un silence. Les rayons du Soleil nous caressaient la peau et nous réchauffaient ; après la pluie des derniers jours, c'était bien agréable. Je me suis allongée sur le pont, les bruit des vagues en toile de fond, je regardais le ciel bleu, heureuse de le voir enfin, comme si c'était la première fois. Snoo s'allongea à côté de moi, nos têtes se touchant presque. 

« Quand j'ai appris que mes parents avaient tous les deux un cancer à un stade avancé, j'étais désabusé et c'est lui que j'ai appelé. Il m'a emmené faire un tour de bateau. Ça a l'air bête dit comme ça, mais sous un petit crachin breton, c'était presque agréable. Nous n'avons rien dit pendant toute la traversée, mais c'était parfait. Et puis, quand ils sont morts, je n'ai réussi à pleurer... Je réalisais ce qui arrivait, j'étais triste, mais je ne parvenais pas à pleurer, pourtant, qu'est-ce que j'en avais envie!! Mais rien ne sortait. C'est bizarre la vie parfois. Mon copain était là, il me consolait, mais les larmes restaient en moi ; j'étais incapable de me lâcher, pourtant, je l'aimais hein, c'était un mec formidable ; il n'y a que dans les bras d'Élouan que j'ai pu pleurer. »

Snoo se leva et alla s'accouder sur les cordages, face à l'immensité de l'océan. Je restai là, allongée sur les lattes de bois, à regarder les quelques nuages qui parsemaient à présent le ciel ; je regardais au loin dans le ciel, à la recherche de mes êtres chers, de mes âmes perdues.

Tout est calme. Paisible. Amalric est à la barre avec Shan, ils discutent tranquillement. 

60 jours en mer - on est tous dans le même bateauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant