Jour 43

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Le temps est clair.

Ce matin, il y avait cette brise d'air frais qui caresse notre peau brunit par le temps passé dehors. La nuit a été fraîche et calme. Élouan m'a laissé seule à la barre quasiment toute la nuit. J'aime bien cette marque de confiance; ça me fait toujours plaisir. Il a marché lentement sur le pont pendant toute la nuit, s'est affairé par moment dans les cordages, a resserré les nœuds, a regardé les voiles. Au début de l'aurore, il est resté accoudé à la balustrade, les yeux vers l'horizon, le regard dans le vide. Il est resté sans bouger pendant une bonne demi-heure, fixant l'océan, infini. Puis, il est descendu dans la salle commune et est revenu avec une couverture qu'il m'a posé délicatement sur les épaules « Ce n'est pas le moment d'attrapé froid. » m'a-t-il simplement chuchoté. Attrapé froid ? Je n'ai jamais été aussi bien qu'en mer. Les microbes ne nous touchent pas; ils n'existent pas ici, ils ne survivent pas face à toute cette eau. Je n'ai rien dit, car ça partait d'un bon geste et, après tout, avoir une couverture sur les épaules ne me faisait pas de mal. Il s'est ensuite accroupi sur une corde enroulée près de la proue. Il est resté prostré à nouveau quelques minutes. On aurait dit qu'il priait. Après tout, peut-être que c'était le cas. C'est la première fois que je le voyais comme ça. Il a lancé quelque chose à l'eau, ou peut-être qu'il a juste lancé une bout de son âme à la mer. Je ne voyais pas grand-chose : les premiers rayons du soleil m'aveuglaient. Le contre-jour parfait. Tout était ombre et or.

Calme plat. Au bout d'une demi-éternité, il s'est relevé et est redescendu regarder ses cartes, ses boussoles et ses écrans. Julien et Amalric sont venus nous relayer et je suis descendue à mon tour dans la cale. J'ai pris un rapide petit déjeuner et me voici installée dans ma couchette à écrire.

J'ai dû m'assoupir une trentaine de minutes. Snoo et Élouan sont assis l'un à côté de l'autre dans notre salle commune, et discutent. Ils parlent à voix basses. Leurs voix, ajoutées au roulis des vagues me bercent. Comme c'est agréable d'être dans cet état de somnolence nonchalante. Les yeux mi-clos, je distingue leur dos. Je ne sais pas de quoi parlent ces deux amis, mais Élouan a l'air bizarre. Snoo a passé son bras autour de ses épaules comme pour le réconforter. Ça me fait bizarre de voir Élouan comme ça. C'est notre capitaine, notre roc, celui qui ne désespère jamais, celui qui motive les troupes quoiqu'il arrive, celui qui prend des décisions sans hésiter, celui qui garde son sang-froid quand es autres paniquent ; pourtant, il reste un être humain avec son lot de faiblesses.

La mer est calme, il y a peu de vent ; Julien et Amalric sont finalement restés aux commandes plutôt que d'être remplacés par Snoo et Shan. Reposée, je me propose de prendre à nouveau le quart de nuit, même si un long crachin est annoncé; je prendrai donc la relève avec Snoo après le souper. Shan et moi tirons tout de même les voiles pendant l'après-midi. Une fois les voiles en place, Shan s'est approché de la proue :

- Tu ne trouves pas qu'il est bizarre Élouan aujourd'hui ? S'est-il passé qquelque chose cette nuit ? Tu sais ce qu'il a ? Ce n'est pas à toi que je devrai demander ça, je sais, c'est à lui, mais il a l'air affecté par quelque chose, mais je ne sais pas par quoi... Je ne veux pas faire mon curieux, mais ça m'intrigue quand même. Il a perdu son énergie. Il semble vidé, triste. Snoo ne le lâche pas d'une semelle ; il l'a toujours à l'œil, mais il ne parle pas. Ça me fait mal de voir Élouan comme ça. Je n'ai même pas envie de faire des blagues, même si je devrais peut-être... Son moral influe notre mental, il le sait, alors pourquoi est-il comme ça ? Tu crois que je devrais lui demander ce qu'il ne va pas ? Mais en même temps, ça ne me regarde pas. C'est sa vie, je respecte ses secrets. Que pouvons-nous faire pour lui ? Ne rien faire ? Faire comme si nous n'avions rien remarqué ? Il ne sera pas dupe. Je déteste l'hypocrisie, il n'y a rien de pire... Je vais y aller. Je vais le lui demander!

60 jours en mer - on est tous dans le même bateauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant