Sandra : Paris, mai 1989

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« Mesdames, faîtes-vous plaisir durant notre semaine du blanc ! Des articles d'exception au troisième étage ! Toute une gamme de merveilleux coloris ! Une nouvelle collection à découvrir ! Ne manquez pas cette occasion. »

Une voix suave de femme envahit le grand magasin à travers d'invisibles hauts parleurs. Sandra pose le sac à main qu'elle était en train d'examiner et donne un coup de coude à sa fille :

« - Tu entends ça, Gina ? Cela tombe bien, j'ai besoin de nouveaux draps. On ira jeter un œil tout à l'heure. Mais d'abord je veux trouver une belle robe et des chaussures pour l'inauguration des nouveaux bureaux de Jacques dans trois semaines. Il devrait y avoir beaucoup de monde à la fête, à ce qu'il m'a dit.

- Ce n'est pas vraiment une fête d'inauguration, Sandra. C'est la Mila du fils de Paula.

- Oui, je sais que Jacques a prêté le bureau tout neuf de Levallois pour la circoncision du petit Jérôme, mais tu sais bien que c'est dans le but de le montrer à toute la famille. Cent dix mètres carrés en plein Levallois. Je suis allée voir l'appartement la semaine dernière. Une merveille ! Il faut juste revoir la décoration pour que ça devienne un palace.

- La vérité, je pense que mon frère n'aurait jamais dû quitter l'est parisien pour les soi-disant beaux quartiers de l'ouest. Comme si on y vivait mieux, tiens.

- Tu dis ça parce que tu n'as jamais quitté ton appartement de la rue de Crimée.

- Parce que tu n'aimes pas te mettre à mon balcon avec vue sur le parc des Buttes-Chaumont, peut-être ? Luc et moi avions prévenu Jacques : tu es bien dans ton appartement du vingtième ; ta femme y est bien ; tes enfants y sont bien. Vous avez même un petit jardin. Pourquoi veux-tu changer les choses ? Il ne m'a pas écouté. Monsieur a toujours eu ses rêves de grandeur. Un vrai vaniteux, mon frère.

- Ton frère fait tout ce qu'il peut pour réussir dans la vie. Il n'y a pas de mal à ça. Luc ferait bien d'en prendre de la graine au lieu de faire travailler sa femme comme secrétaire dans sa petite société d'assurance. Il aurait dû te donner une autre vie, ton mari.

- Peut-être, mais je n'envie pas la vie de Claudie non plus. La pauvre petite. Je crois qu'on lui fait toujours aussi peur. Sinon, comment expliquer qu'elle vienne si peu nous voir ? Elle ne vient jamais à nos fêtes de famille.

- Là, c'est un mystère, ma fille. Jacques n'a pas choisi celle qui lui fallait. On sait qu'on a trouvé la femme idéale seulement quand elle s'entend bien avec sa belle-mère. Bon, tu arrives à te repérer dans ce grand magasin, toi ? Où est l'étage des robes ?

- L'escalator est par là, Sandra. »

Gina tend le bras à sa mère pour l'aider à marcher.

« - D'accord, allons-y. Mais retire ton bras, ma fille. Je peux courir si je veux.

- Et qui te soigneras quand tu te seras cassé le col du fémur ? Ce ne sera pas moi. Allez, prends mon bras. »

A contrecœur, Sandra prend un léger appui sur sa fille. Elle s'imagine déjà dans la robe qu'elle achètera aujourd'hui. Elle la veut dans un tissu fluide pour cacher ses formes qui se sont arrondies, d'un joli coloris et d'une coupe originale pour montrer qu'à soixante-dix-neuf ans, elle est toujours à la pointe de la mode et qu'elle n'entend laisser la vedette à personne – surtout pas à Paula, la mère du nouveau-né que l'on va circoncire. Paula est la fille de sa nièce Gilberte qui sera bien sûr de la fête elle aussi. Gilberte n'en finit plus de grossir. On penserait pourtant qu'une fois obèse, une femme n'a plus de marge pour se dilater. Mais oui, c'est possible. Gilberte n'a toujours pas fini sa croissance. Il faut dire que la mort de sa mère Esther il y a trois ans ne l'a pas arrangée, la pauvre.

LES LASSERY (vol. 2) Votre mari est un salaudOù les histoires vivent. Découvrez maintenant