Le Serpent qui Rugissait

29 Octobre 1994 - LE MATCH

          Le vent froid frappait le visage d'Aya, l'air lui sifflait aux oreilles en masquant les cris de la foule et elle se pencha un peu plus sur son balai, la mine plus concentrée que jamais. Viktor était à côté d'elle, et le Vif d'or à quelques mètres devant. C'était la dernière fois avant longtemps qu'ils jouaient l'un contre l'autre, et aucun des deux n'avait l'intention de faire de cadeau à l'autre.

          Ils n'étaient plus qu'à un mètre du vif à présent, leur bras se tendirent dans un même geste, mais Aya entendit un sifflement caractéristique à sa gauche. Sans même prendre le temps de tourner la tête, elle reprit son balai à deux mains et dévia brusquement pour remonter en chandelle, au moment même où Viktor plongeait en piquet pour éviter le Cognard qui arrivait sur sa droite. L'instant d'après les deux balles se percutèrent de plein fouet dans un fracas qui résonna dans tout le stade.

          Le plus étonnant, c'était qu'à leur gauche il y avait le batteur jouant avec Aya, et à leur droite Gustav, jouant avec Viktor. Ils venaient tous les deux d'attaquer leur propre Attrapeur. Aya vit Gustav caler sa batte sur son épaule et les regarder d'un air grave.

          - Nous n'avons pas organisé ce match pour qu'ils durent vingt minutes, vous allez vous calmer tous les deux, rugit-il sur un ton très sérieux.

          La rousse fut surprise pendant un instant mais laissa échapper un petit rire cristallin avant de filer de l'autre côté du terrain. Ils ne s'étaient toujours pas reparlé depuis la nuit de son anniversaire, mais cela n'avait pas d'importance. À ce moment précis, à cet endroit précis, tout ce qui comptait c'était l'issue du match des Ainés contre les Cadets, et sa durée. La concurrence était rude certes, mais elle était certaine d'être, parmi toutes les personnages présentes dans le stade, celle qui désirait le moins descendre de son balai et retourner au château.

          Les cours de l'après-midi avaient était suspendus pour ce match exceptionnel, elle en avait profité pour mettre sa vie chaotique de ces derniers jours en pause par la même occasion. Et n'avait aucune intention de la reprendre, si elle connaissait une formule lui permettant de rester ainsi, figée hors du temps et de l'espace, loin de tout avec le vent comme bouclier impénétrable, elle l'aurait utilisé.

          Pourtant après plus d'une heure et demi de jeu, alors que le soleil commençait à se coucher, l'impatience l'avait gagné, même si elle ne voulait pas redescendre, le match avait prit une tournure intéressante. Sans trop savoir comment, dans le pêle-mêle des Cognards lancés en désordre et des Attrapeurs qui perturbés avec plaisir les stratégies des poursuiveurs adversaires en attendant de pouvoir attraper leur vif, les Cadets déchaînés avaient fini par prendre l'avantage à deux-cent-cinquante contre cent-trente. Mais les Ainés avaient marqué trois fois sur les quinze dernières minutes de jeu, alors que les Cadets montraient leurs premiers signes de fatigue. La situation pouvait s'inverser, sans compter qu'il suffisait à Viktor d'attraper le vif d'or. Dans un match en compétition sérieuse, cela aurait été le parfait moment pour lui comme pour elle d'attraper la petite balle dorée.

          Elle jeta un regard à l'autre bout du stade, et vit Viktor lui sourire en se dirigeant vers Gustav, désigné comme capitaine des Aînés. Aya sourit à son tour et perdit un peu d'altitude pour aller à la rencontre de son gardien, un Kostein de cinquième année.

          - Je pense que c'est le bon moment pour arrêter de se prendre des buts et attraper ce vif, si mon capitaine est d'accord ? Lui dit-elle en tournant autour des buts alors que les Ainés reprenaient le Souaffle en venant de leur côté.

          - Fais le tombé de son balai si nécessaire, répondit-il avec un hochement de tête pour confirmer sans lâcher des yeux le poursuiveur qui traversait le terrain.