Ukraine.

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Guillaume leva la tête de son livre pour balayer la salle de classe du regard. Il soupira en croisant le regard timide d'Héloïse, encore une fois la dernière enfant dans la petite pièce. Comme le lundi de la semaine dernière, son père était en retard. On était jeudi. Il se leva et se dirigea vers la petite fille qui le regarda s'avancer vers elle d'un air inquiet, avant de s'asseoir sur la petite chaise du bureau situé devant le sien.

« Il est encore en retard, on dirait bien, hein ? » lui dit-il en lui offrant un petit sourire désolé.

La gamine blonde, coiffée d'une simple queue de cheval ce jour-là, hocha la tête et Guillaume sourit en voyant sa frange recouvrir ses yeux bleus.

« Bon, ce n'est pas très grave... Il est seulement 18h25, il va sûrement bientôt arriver. » lui sourit-il en haussant les épaules.

Il vit la petite fille de six ans lui lancer un regard curieux à travers sa frange dorée et il esquissa un petit sourire. Il ne savait pas bien si c'était elle ou lui qu'il essayait de rassurer. Il espérait vraiment ne pas avoir à attendre encore une heure que son père vienne la chercher, comme la semaine dernière. Il avait envie de rentrer chez lui, comme tout le monde. Il soupira en se disant que l'autre homme avait pourtant été si bien à l'heure jusqu'ici et que c'était dommage de s'arrêter en si bon chemin.

« Il fait pas exprès, dit Héloïse tout d'un coup, le sortant de ses pensées.

— Pardon ? dit-il en la dévisageant en fronçant les sourcils.

— Papa. Il fait pas exprès d'être en retard.

— Ah oui, dit Guillaume en lui souriant. Je me doute ma puce qu'il ne le fait pas intentionnellement. »

Ma puce. Depuis quand était-il devenu aussi gentil et patient avec les enfants ? Il secoua la tête en se disant que ce n'était pas tous les enfants. Il ne savait pas pourquoi mais... cette petite fille, elle l'attendrissait tout particulièrement. Avec son petit minois timide, ses longs cheveux blonds et ses grands yeux bleus.

« Papa, il travaille dur pour moi. Pour que je puisse aller à l'école... avoir une bonne édu... éducation ? demanda-t-elle pour vérifier qu'elle l'avait prononcé correctement et Guillaume hocha la tête en souriant.

— Et il fait quoi ton papa, Héloïse ? demanda-t-il, sincèrement intéressé, en voyant que la petite fille semblait adorer parler de son père.

— Avant, il était professeur de musique, quand- commença-t-elle, des étoiles plein les yeux, avant de se stopper en pleine phrase et Guillaume vit ses yeux devenir un peu plus tristes. Quand on habitait encore là-bas.

— C'est où là-bas ? demanda Guillaume en se demandant pourquoi elle avait l'air si triste.

— En Ukraine... dit-elle lentement, en se mordant la lèvre, comme si elle se demandait si elle avait le droit de le dire.

— Et pourquoi vous en êtes partis, Héloïse ? » demanda-t-il en fronçant les sourcils et comprenant enfin d'où venait ce léger accent qu'il entendait dans sa voix, ainsi que dans celle de son père.

Il observa attentivement les traits du visage de la petite fille. Elle donnait l'impression de réfléchir intensément et se demander si elle devait lui raconter pourquoi ils étaient venus en France.

« C'est à cause de la guerre, dit-elle lentement en observant ses réactions à travers sa frange d'or. Les russes ont envahi le Nord du pays... Là où on habitait avec maman... Et... Papa... Il a dit qu'il fallait qu'on parte avant qu'ils envahissent tout le pays.

— Donc, résuma Guillaume, vous êtes venus en France, papa, maman, et toi ? Pour fuir la guerre ?

— Oui, dit sérieusement Héloïse en hochant la tête. Mais seulement papa et moi. Pas maman. »

Guillaume resta silencieux, attendant qu'elle continue son histoire quand soudain, le visage de la petite fille s'illumina. Il la vit se lever d'un air confus et se précipiter vers l'avant de la salle de classe en criant Papa !. Il se retourna et vit son père, les bras grands ouverts afin qu'elle puisse se jeter dedans. L'homme, qui devait avoir à peu près le même âge que lui, avait un large sourire sur le visage et enfouit son visage dans les cheveux blonds de sa fille en la serrant fort dans ses bras.

« Salut ma princesse... lui chuchota-t-il en se détachant légèrement d'elle pour la regarder. Si tu savais comme je suis content de te voir. Je suis vraiment désolé d'être en retard, j'ai fait du plus vite que j'ai pu... »

Guillaume la vit secouer la tête comme pour lui dire que ce n'était pas grave et il se leva à son tour afin de se diriger vers eux, en silence. Arrivé à leur hauteur, le père de la petite fille le remarqua enfin et Guillaume lui sourit doucement.

« Je suis vraiment désolé, s'excusa l'autre homme en affichant un air profondément coupable. Je n'ai vraiment pas pu m'arranger pour finir plus tôt et le métro a eu énormément de retard... J'ai essayé d'appeler pour prévenir de mon retard mais ça ne répondait pas au secrétariat...

— Oh, ne vous inquiétez pas, dit Guillaume en faisant un signe de main évasif dans les airs. Ce n'est que 25 minutes de retard après tout... Bien moins que lundi dernier, hein ? dit-il dans un rire.

— Je... Je m'excuse, balbutia le père en lui lançant un regard confus et Guillaume se dit qu'il n'avait pas comprit sa tentative d'humour pour le rassurer sur son retard. Je ne vais pas prendre plus de votre temps, alors... »

Guillaume le regarda poser sa fille au sol et lui mettre son cartable sur le dos avant de passer une main sur le col de sa robe, un genou au sol.

« C'est bon, ma puce ? On peut y aller ? lui dit-il doucement en se relevant et Héloïse hocha la tête en souriant.

— Oui, papa. Au revoir, Guillaume !

— Au revoir, Héloïse. Passe une bonne soirée. » dit-il dans un sourire, attendri par la gamine.

Celle-ci lui fit un signe de la main avant de disparaître et, une fois partis, Guillaume pensa au sourire fatigué que lui avait adressé son père avant de tourner les talons. Il sourit, l'air un peu ailleurs en rangeant ses affaires pour pouvoir partir à son tour, se disant à quel point la gamine ressemblait à son père. Bien sûr, elle était blonde comme les blés alors que celui-ci avait des cheveux noirs ébènes... et ses yeux yeux étaient bleus comme la couleur que prenait l'océan par beau temps alors que ceux de son père étaient si sombres que l'on pourrait presque se sentir aspirer dedans... mais leurs traits, eux, étaient les mêmes. Il n'avait pas bien observé l'autre homme mais du peu qu'il en avait vu, il avait reconnu les mêmes fossettes au coin de sa bouche quand il souriait à sa fille. Les mêmes traits réguliers et fins. Et surtout, même malgré sa fatigue, les mêmes yeux rieurs et plein d'innocence. Il pensa à ce que la petite fille lui avait raconté sur le chemin du retour et se demanda comment ce dernier pouvait garder un regard si doux malgré la guerre et les horreurs qui avaient dû joncher son parcours jusqu'en France.

Fiction OrelxGringe - Sa fille.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant