« Du coup, qu'est-ce qu'il t'a dit le médecin pour ton poignet ? » demanda-t-il à Aurélien en lui souriant d'un air bienveillant.
Celui-ci lui jeta un regard curieux avant de se redresser sur le canapé.
« Le radiologiste...? demanda Aurélien et il sourit au mot qu'il avait choisit.
— Oui, le médecin qui t'a fait la radio. Le radiologue.
— Ah, le radiologue... répéta Aurélien en rougissant, embarrassé de s'être trompé de mot. Il... il m'a dit que mon poignet était seulement foulé et que je devrais mettre une attelle pendant quelques jours. Et appliquer une pommade sur le coup pour apaiser la douleur. »
Guillaume haussa les sourcils et regarda son poignet, vierge de toute attelle.
« Et elle est où ton attelle là, Aurélien ?
— Ah, je... Je l'ai enlevé pour le travail... balbutia Aurélien en écarquillant les yeux. J'ai oublié de la remettre...
— Non mais Aurel... soupira Guillaume. C'est une attelle. Si tu veux que ça marche et qu'elle répare ton poignet, faut la mettre. Même au travail. »
Guillaume vit l'autre homme lui lancer un regard coupable et il soupira à nouveau.
« Tu veux bien me l'amener ? demanda-t-il avant de rajouter, en le voyant se lever du canapé. Et la pommade aussi, s'il-te-plaît. »
Aurélien disparut un instant et il secoua la tête en souriant avant que ce dernier ne ré-apparaisse dans le salon. Il se rassit sur le canapé à ses côtés et lui tendit le petit tube de pommade et l'attelle noire et bleue. Guillaume posa cette dernière sur la table basse à côté d'eux et ouvrit le bouchon du tube de pommade.
« Montre-moi ton poignet, dit-il sérieusement. Je vais te mettre de la pommade. Faut en mettre assez pour que celle-ci puisse pénétrer profondément dans la peau et atteindre les tissus froissés. »
Aurélien lui jeta un regard hésitant avant de hocher la tête et de relever sa manche pour lui montrer son poignet. Celui-ci était légèrement gonflé et Guillaume soupira en l'attrapant avec délicatesse de sa main gauche. De l'autre main, il appuya sur le tube pour verser de la pommade sur le poignet fin d'Aurélien et commença à caresser sa peau de ses doigts pour faire pénétrer la pommade à l'intérieur.
« Comment tu t'aies fait ça...? soupira-t-il et il le sentit frissonner à cause du contraste entre la froideur de la pommade et de la chaleur de sa peau. Je te jure... Tu vas faire une radio presque une semaine après t'être fait mal... Et en plus, tu portes pas l'attelle qu'on te prescrit quand tu vas la faire.
— Je suis désolé Guillaume, murmura Aurélien en baissant les yeux et il sourit doucement, attendri.
— C'est pas grave. Enfin, si... Mais t'es un adulte responsable maintenant. Personne peut t'engueuler, hein, rit-il en l'entendant s'excuser comme un enfant qui aurait fait une bêtise. Surtout pas moi. »
Aurélien releva la tête et lui décocha un petit sourire timide qui le fit fondre intérieurement. Il retirait ce qu'il venait de dire. Aurélien était un enfant. Un enfant avec sa bouille craquante et ses expressions adorables. Un enfant qui avait vécu l'enfer pour arriver ici et qui en avait un de même, mais un enfant tout de même.
« Pourquoi ça a couté aussi cher, Aurélien ? demanda-t-il soudain en se rappelant de ce que Héloïse lui avait dit. Et la mutuelle dont je t'ai parlé ? »
Aurélien détourna le regard un instant et il fronça les sourcils.
« Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il en prenant la petite attelle sur la table basse et commençant à la lui enfiler autour du poignet.
— Je... J'y suis allé, je te jure, dit doucement Aurélien. Mais... ils m'ont demandé des papiers et... Je les ai pas, Guillaume. J'ai pas ces papiers-là.
— Comment ça ? demanda-t-il d'un air confus en serrant l'attelle au maximum sur son poignet et la lui attachant, avant de lâcher sa main tout à fait. Quels papiers ?
— Les papiers, Guillaume. Tu sais bien... Je suis pas français. »
Guillaume lui lança un regard interrogateur et Aurélien se mordit la lèvre en fuyant son regard.
« Oui, je sais. Tu viens d'Ukraine. Tu es arrivé il y a deux ans avec ta fille. Mais tu veux dire que tu n'as toujours pas reçu de papiers qui affirment que tu es français ? Que tu peux rester vivre en France ? Recevoir les mêmes soins que n'importe quelle autre personne dans ce pays ? »
Aurélien secoua la tête d'un air hésitant, le regardant d'un air inquiet, et il soupira.
« Tu n'es pas naturalisé français ? Et Héloïse non plus, du coup ?
— Non, ça fait deux ans que j'attends qu'on me les envoie et que je vais tous les mois à la mairie pour voir s'il y a une avancée... expliqua Aurélien en fermant les yeux d'un air fatigué. J'ai déjà eu de la chance de trouver ce logement et un travail, Guillaume...
— Mais c'est dangereux, Aurélien. Ça veut dire que vous pouvez être expulsés d'un jour ou l'autre, sans préavis... »
Guillaume s'insulta en voyant un voile de tristesse recouvrir les yeux de l'autre homme.
« Je sais, Guillaume... dit Aurélien dans un murmure. Je le sais bien, j'y pense tous les jours, mais je ne sais pas quoi faire. Je n'ai pas de solutions. Je suis perdu, souffla-t-il dans un sanglot. Si tu savais à quel point j'ai peur, pour moi d'accord, mais surtout pour Héloïse. Je ne veux pas qu'on la renvoie en Ukraine, ou qu'on l'envoie dans un camp de réfugiés loin de moi, je veux juste qu'elle ait une vie normale. Est-ce que c'est trop demander ? »
Guillaume sentit une vague de tristesse l'envahir et attira Aurélien contre lui. Il passa une main sur son dos pour le réconforter et déposa, sans pouvoir se retenir, un baiser sur son cuir chevelu.
« On va trouver une solution, Orel.
— Non, il n'y en a pas, pleura l'autre homme en se laissant complètement aller contre lui.
— Si, je te promets. Je vais trouver. »
Guillaume ferma les yeux et resserra son étreinte sur la taille de l'autre homme. Il allait trouver une solution. Il ne les laisserait pas lui faire du mal, il avait déjà trop souffert. Et il ne les laisserait pas l'emporter, ni lui, ni sa fille, loin de lui.