« Guillaume...? »
Il ouvrit les yeux en entendant Aurélien l'appeler doucement et en sentant un léger poids sur son avant-bras, là où ce dernier avait posé sa main. Combien de temps avait-il décroché de la réalité ? Il s'était laissé bercer par sa voix presque incompréhensible de là où il était et avait dû à un moment donné se mettre à somnoler.
« Je t'ai réveillé ? lui demanda Aurélien en lui souriant doucement, retirant sa main de sa peau. Tu es fatigué ?
— Ah non, pas vraiment, dit Guillaume en se redressant. Enfin, je veux dire... ça va, par rapport à d'autres jours...
— D'accord... » lui sourit Aurélien.
Guillaume sentit les battements de son cœur accélérer dans sa poitrine en voyant avec quelle douceur ce dernier le regardait. Il se sentait enveloppé d'une aura de pureté et de bien-être et une agréable chaleur se répandit dans son corps entier.
« Elle dort...? demanda-t-il dans un souffle et Aurélien hocha la tête.
— Oui, normalement c'est bon. Je l'ai laissée se coucher un peu plus tard parce que tu es là et que ça lui faisait plaisir, mais il ne faut pas qu'elle veille trop tard. Elle est encore petite.
— Oui je comprends, sourit Guillaume. Tu as vraiment une fille magnifique, Aurélien. Tu peux en être fier.
— Merci, sourit doucement Aurélien. Elle est mon petit rayon de soleil. Avec tout... tout ce qui s'est passé ces dernières années... dit-il lentement, semblant chercher ses mots. Je peux me dire chanceux de l'avoir près de moi. »
Guillaume pensa brièvement à ce que Héloïse lui avait raconté sur leur départ de l'Ukraine et sourit tristement. Sur le peu qu'elle s'en souvenait. La guerre, les voyages interminables en transports, son père qui la portait dû à son jeune âge, les gens qui parlaient une langue différente de la leur et qu'ils ne comprenaient pas, et toujours, son père qui gardait espoir et qui lui promettait qu'ils allaient y arriver.
« Je crois qu'Héloïse peut se considérer chanceuse de t'avoir aussi, Aurélien. Elle est très fière de toi, tu es un modèle pour elle.
— Tu crois vraiment ? murmura Aurélien en se passant une main sur les yeux et il entendit un petit sanglot dans sa voix que ce dernier n'arriva pas à dissimuler.
— Bien sûr, dit sérieusement Guillaume en attrapant son autre main, qui reposait sur le canapé entre eux. Crois-moi, Aurélien. Elle est fière de t'avoir comme modèle. C'est une certitude. Si tu voyais comme ses yeux s'illuminent quand elle parle de toi ou quand tu viens la chercher à l'école. Tu donnerais tout pour elle, et ça se voit. Et ta fille, elle est heureuse et épanouie. T'es un père en or, Aurélien »
Il laissa passer un petit silence avant de reprendre :
« Et tu es un homme très courageux, peut-être même le plus courageux qu'il m'ait été donné de rencontrer dans toute ma vie. D'avoir fuit ton pays avec ta fille, à cause de la guerre. Parce que tu voulais la préserver et lui donner une chance d'avoir un avenir meilleur... dit doucement Guillaume en plongeant ses yeux dans les siens, tandis que de son pouce il caressait délicatement le dos de sa main. Je ne peux même pas m'imaginer le courage que ça a demandé.
— Elle t'a raconté ça ? dit lentement Aurélien dans un murmure, le regardant d'un air inquiet.
— Oui, elle m'a expliqué pourquoi vous avez dû fuir, sans ta femme. A cause des russes... »
Guillaume vit les yeux de l'autre homme s'humidifier et aperçut des larmes déjà prêtes à couler sur ses joues. Il se mordit la lèvre inférieure en se maudissant d'avoir parlé d'un sujet aussi sensible.
« Ma femme ? murmura Aurélien en le regardant avec des larmes dans les yeux, qui commencèrent bientôt à couler le long de ses cils pour venir glisser sur ses joues.
— Oui, déglutit Guillaume en immobilisant le geste de son pouce sur le dos de sa main en le voyant pleurer. Comment... elle n'a pas pu vous suivre et a dû rester là-bas.
— Rester...? répéta Aurélien en fronçant les sourcils et Guillaume se demanda s'il avait dit quelque chose qu'il ne fallait pas. Guillaume, qu'est-ce qu'Héloïse t'a raconté sur sa mère ?
— Pas grand chose, dit-il prudemment. Seulement que quand vous avez dû partir de l'Ukraine, c'était seulement toi et elle, et que sa mère elle, n'avait pas pu faire le voyage. »
Aurélien resta silencieux, le dévisageant d'un air confus, et Guillaume lui lança un regard inquiet.
« Aurélien, j'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? demanda-t-il en resserrant ses doigts sur sa main. Je suis vraiment désolé si c'est le cas, je-
— Non, non, dit précipitamment Aurélien en secouant la tête et en se libérant de son étreinte pour venir s'essuyer les yeux à deux mains. Non, c'est seulement que... tu as mal compris. Ou alors, Héloïse t'a mal expliqué... Sophia... ma femme, se reprit-il, elle n'a pas pu nous suivre, c'est vrai, mais pas parce qu'elle ne le voulait pas ou ne le pouvait pas... C'est seulement que... elle est morte un an avant le début de la guerre. Et que je ne pouvais pas déterrer son corps de la tombe où elle était enterrée pour la prendre avec nous. Tu ne crois pas ? dit-il dans un faible sourire. De toute façon, les morts, ils s'en foutent de la guerre. Puisqu'ils sont déjà morts. C'est les vivants qu'il faut essayer de sauver. »
Guillaume ouvrit la bouche comme pour parler, puis la referma, sous le choc. Puis, ne pouvant pas se retenir, il se mit à rire.
« Morte ? Je suis désolé, c'est vraiment pas drôle, dit-il en mettant une main devant sa bouche, mais je n'avais vraiment pas compris ! Je croyais qu'elle avait refusé de venir avec vous ou que les russes l'avaient empêché de vous suivre en France...
— Oui, sourit Aurélien. Je vois où tu t'es trompé...
— Je suis vraiment désolé de rire Aurélien, dit-il en s'efforçant de se calmer. Mais c'est un rire nerveux, tu comprends ?
— Oui, à cause des nerfs ou du stress, c'est ça ?
— Voilà, dit Guillaume avant de souffler profondément. Désolé, pour tout. Mais tu vois, quand je te dis que tu es un homme courageux et un vrai modèle pour ta fille... c'est de ça que je parle. Tu as quitté tout ce que tu connaissais, ton ancienne vie, tu l'as prise avec toi, et tout ça sans savoir si ça en valait le coup. Si vous trouveriez un pays pour vous accueillir, toi et ta fille. Et pourtant, tu as gardé espoir. »
Guillaume vit ses yeux s'humidifier à nouveau mais aucune larme ne coula de ceux-ci. Il attrapa délicatement sa main dans la sienne et la caressa avec douceur de son pouce. Il lui sourit tendrement et Aurélien lui offrit un petit sourire en retour. Il se laissa happer par ses grands yeux sombres et pensa à quel point il était heureux d'avoir rencontré quelqu'un comme lui.