5 (a). Frédérique

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A force de muscles et de sueur, nous retapions la cabane.

Ou plutôt à force de sueur, de douleurs et de cris stridents suivis d'un juron lorsque l'un d'entre nous finissait avec le marteau sur le doigt plutôt que sur le clou. Le métier était en train de rentrer, ce qui n'était pas le cas de la trousse à pharmacie.

Bref, nous retapions la cabane.

Nous avions commencé par le plus urgent : le toit. A ce qu'avait prévenu Bob, les orages en cette saison étaient très fréquents et d'ailleurs la canicule qui pesait sur nos têtes ne manquait pas de nous le rappeler. Pendant que les garçons s'occupaient du sciage des planches, les quatre filles avions été désignées pour le clouage sur le toit. C'était Bob qui supervisait les opérations. Il nous montrait comment faire et vérifiait ensuite. On voyait qu'il avait l'habitude. Il n'avait juste pas pensé que monter sur une échelle et a fortiori se déplacer sur un toit n'était pas naturel pour tout le monde. Livia, la belle italienne, s'est fait un point d'honneur à réussir cet exploit digne de l'ascension de l'Everest sans sherpa ni oxygène, au prix d'un temps interminable dès le troisième barreau de l'échelle. Ca commençait mal pour elle, la pauvre !

Juchée sur le toit, je dominais ce petit paradis et je dois dire que je n'aurais cédé ma place pour rien au monde. A travers les arbres, je distinguais le lac, majestueux, et sous mon nez, j'assistais aux allées et venues des écureuils et des oiseaux qui picoraient entre les aiguilles et les pommes de pin. Et lorsque le crissement de la scie et le tap-tap des marteaux s'arrêtaient, le travail des pics-verts, le gazouillis des oisillons et le cri des petits suisses reprenaient.

Le petit-suisse. Emblème de mon séjour, finalement quand j'y pense. Rien à voir avec les-produits-laitiers-sont-nos-amis-pour-la-vie. Le petit-suisse est un adorable petit écureuil brun et rayé sur le dos. Il n'a pas de queue en panache pour sa superbe, mais il a mieux : un caractère espiègle et carrément rusé. Maintenant, je comprends mieux pourquoi Donald passait des épisodes entiers de dessins animés à chasser Tic et Tac : ils finissent toujours par voler une partie du repas.

Le matin, leur cri sauvage et calme, qui ressemblerait plus à celui d'un choucas qu'à celui d'un écureuil d'ailleurs, s'amplifiait dans la fraîcheur et l'humidité, et grâce à ces jolies petites bêtes, je me levais paisible et joyeuse, prête à affronter une journée de travail.

Ils venaient nous rendre visite au petit déjeuner (ils venaient plutôt rendre visite à nos tartines) et repassaient ensuite dans la journée, histoire de voir si tout allait bien. Pendant que l'un faisait diversion (quel charmeur), l'autre traversait furtivement la table et essayait de nous extirper un petit quelque chose. Les jours de vigilance, ils repartaient seulement  avec les miettes. J'adorais.

Dans la rubrique animalière, un qui ne passait pas inaperçu, c'était le raton-laveur. Cette petite bestiole noire et blanche à jolie frimousse faisait sa ronde très matinale autour de la tente. Et quel zèle ! Ca fouinait, ça se roulait, ça s'ébrouait, ça se léchait, ça se grattait et ça farfouillait dans tout ce qui traînait : fringues, plastiques, chaussures, trousses à outils mal fermées, petites poubelles oubliées et même, ô suprême gout raffiné : le vanity de Raphaëlle. Evidemment, plus ça faisait du bruit et ça puait, et plus c'était rigolo. Du boucan à 4-5 heures du matin, au début c'est dur, après, la fatigue aidant, je n'y faisais plus attention.

Un matin, à l'aube, alors que je somnolais dans la tente, j'entendis un bruit bizarre, un bruit de ressort géant, un bruit de guimbarde, bref un bruit métallique pas du tout naturel, accompagné d'un bruit de sabots. Ce bruit a bien dû faire trois fois le tour de la tente, puis est parti.

-          Ah la bonne blague ! me suis-je écriée en sortant de la tente précipitamment.

Mais à ma surprise, tout le monde dormait et apparemment il n'y avait pas de blague. Les Zaôtres n'ont jamais vraiment cru à mon histoire d'animal sur ressort, malgré les traces que je leur ai montrées autour de la tente. C'est juste resté un refrain qu'ils me sortaient à chaque fois qu'ils voulaient se payer ma tête. Pourtant je suis prête à parier qu'il y avait quelque chose ou quelqu'un. Un animal du fin fond de la forêt canadienne qui aurait un cri de guimbarde ? Un orignal qui se serait pris les pieds dans les fils tendus de la tente ? Ou un elfe sur sa licorne battant le rappel de ses troupes ? Le mystère resta entier.

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Avant de passer à la suite des impressions de Fred, n'oublie pas la petite étoile, merci !


Et pendant ce temps-là, à Tapachula (mon été dans les bois)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant