Quelques jours après la brosse de la fête à Benji (c'est drôle ça, on lui avait donné un nom. Ca faisait un peu anciens combattants, ou même anciens étudiants de la confrérie alpha beta kappa qui se remémorent leurs meilleures cuites, alors que non, pas du tout, on prenait certes très souvent l'apéro, voire même tous les soirs, mais cet apéro était léger et les bitures très rares. Nous étions des jeunes gens bien sous tous rapports et corrects - c'est correct aurait ajouté Ti'Pierre qui prenait de plus en plus souvent l'accent québécois).
Bref, après la brosse à Benji et la séance photo délire qui avait suivi et qui nous avait tous mis à contributions, Tom et moi aux appareils et les Zaôtres à la conception de chefs d'œuvre de photo de famille artistiques, nous étions repartis travailler sur nos bivouacs, dans une ambiance des plus excellentes. C'était peut-être même le meilleur moment de tout notre séjour. On avait ce petit quelque chose entre nous qu'ont les amis de longue date qui ont partagé tant de bons moments et qui sont toujours intarissables d'anecdotes rigolotes sur l'un ou sur l'autre, sans compter les commentaires interminables autour de l'album photos.
Et là, on était servi.
Cette soirée avait donc eu le double effet kisscool d'être particulièrement sympa et de redonner un second souffle, voire même de donner le souffle qui manquait.
Le surlendemain matin donc (repos éthylique oblige), Mike nous avait rejoints à la cabane et nous étions partis avec notre bazar habituel qui dépassait des deux canoës supplémentaires que nous trainions à tour de rôle. Cette fois-ci, ça allait être du sérieux : en plus du bivouac, il fallait faire un sentier de portage pour contourner à pied quelques rapides infranchissables. J'avais du mal à m'imaginer les rapides infranchissables tant l'eau du lac et des rivières alentours étaient d'un calme olympien, mais Mike avait insisté sur le mot infranchissable. Et comme il parlait peu, c'était peine perdue de lui en demander plus. Je verrais bien.
Nous avions donc pris à gauche en partant de la cabane, remontant le cours du lac (qui ne semblait d'ailleurs pas avoir de cours), pour nous engouffrer dans un de ses affluents qui serpentait entre des zones de joncs et de forêt. Le trajet sur cette large rivière dura un certain temps. Le paysage était de toute beauté, à peine monotone, bien que fait exclusivement de camaïeux de verts à la texture sapins, joncs, mousses ou bush (comme disait Matt). Par endroit, on voyait des tas de bois et je devinais le travail des castors. A d'autres, c'était des troncs de vieux arbres qui bordaient la rive et je me souvenais des remarques de Ti'Pierre à propos des grenouilles et des poissons qui préféraient largement ces berges bordéliques et pleines de déchets naturels que les rives calibrées, rectilignes et éternellement insipides, vu qu'il était impossible pour un tronc d'arbre ou une branche de venir se coincer dans une ligne droite moitié bétonnée. Et les troncs d'arbres amenaient de la nourriture et créaient des courants de vitesse et de température différentes, idéal pour pondre des œufs ou draguer sa future compagne. Mais Ti'Pierre l'expliquait beaucoup mieux que moi. Et accessoirement imitait le crapaud en pleine parade nuptiale.
Au fur et à mesure que nous avancions, la rivière se rétrécissait imperceptiblement et il fallait ramer beaucoup plus fort, car effectivement, maintenant, je pouvais sentir qu'on était à contre-courant. Pas de bol, à ce moment-là, c'était Jo et moi qui tractions un des canoës de matériel. Ah oui, parce que j'avais absolument refusé de me séparer de Jo pour le canoë. Faut dire que ce gaillard-là était parfait : il ramait hyper fort et il racontait pas mal de blagues. Pourquoi j'aurais changé ? J'avais même refusé Benj, c'est pour dire. Bon c'est vrai que dans un canoë, on est l'un derrière l'autre et admirer la nuque de Benj, c'était pas non plus le truc le plus fou de la terre.
Même s'il a forcément une superbe nuque.
Mais soyons pragmatique (comme me répétait tout le temps mon prof de physio « les jeunes, soyez pragmatiques »), Benj, tout surfeur qu'il était, n'avait pas la même force dans les bras que Jo. Et c'était plus facile de contempler mon bel Apollon depuis un autre canoë, surtout si nous ramions côté à côte, plutôt que d'attendre qu'il veuille bien se retourner.
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Et pendant ce temps-là, à Tapachula (mon été dans les bois)
Romance« A force de muscles et de sueur, nous retapions la cabane. Ou plutôt à force de sueur, de douleurs et de cris stridents suivis d'un juron lorsque l'un d'entre nous finissait avec le marteau sur le doigt plutôt que sur le clou. Le métier était en...