5 (c). Frédérique

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Benj.

Que j'avais surnommé d'emblée ainsi car je trouvais que ça lui allait à ravir. Et c'était moins courant que Benji ou Ben et surtout plus exotique.

Comme ses yeux.

Benj, que je classe volontairement dans la rubrique des francophones, vu qu'il parlait couramment français et qu'avec lui on parlait toujours français. Donc pas de petites remarques faciles, il les captait toutes. Prudence donc.

Il avait un petit accent charmant, plus subtil que le chewing-gum américain de Georges Eddy et moins gnan-gnan que le susurrement anglais de Jane Birkin. Un parfait mix, avec une pointe d'expressions québécoises, qui lui allait comme un gant.

De toute façon, tout lui allait comme un gant.

Donc, on parlait français ensemble.

Ensemble. A l'époque, j'aurai adoré écrire ça à propos de lui : ensemble.

Car je ne faisais déjà plus que le mater en cachette, j'avais pris un peu d'assurance et j'étais passée à la phase B : le contact. (Ca fait un peu documentaire animalier ça, l'approche, le contact et ensuite le rut ! Mais n'allons pas si vite).

Et là, ô surprise, j'ai découvert que mister univers était non seulement sympa, drôle, pas neuneu du tout mais qu'en plus, on était sur la même longueur d'onde ! Que demander de plus ? Passer un mois et demi en autarcie avec le plus beau mec du monde dans la plus pure harmonie, entre rire et blabla ! Et plus si affinité, mais je n'en étais pas encore là. Rien ne sert de courir, il faut ménager sa monture sans force ni rage, disait plus ou moins La Fontaine.

Son pedigree : il avait 24 ans (juste deux ans de plus que moi, la différence idéale) et était le moyen d'une fratrie de deux filles et un gars. Papa et maman venaient de quelque part vers les rocheuses canadiennes et avaient les professions respectables et respectives de médecin et professeur. Et une tante bordelaise et des cousins complètement bilingues avec qui il avait appris le français, du moins mieux qu'à l'école.

Il habitait un grand appart à Vancouver avec deux autres colocataires. Il avait fait cinq ans d'étude d'économie là-bas et d'après lui, c'était l'endroit idéal pour étudier, dans une ville hyper cool et avec la vue mer et montagne du campus. Ce qu'il avait juste oublié de préciser (mais que j'appris plus tard de Noz), c'est que la plage qui entourait le campus était une plage de nudistes réputée pour son deal de shit. Mais c'est très très joli, m'avait-elle confirmé. Sur quoi Ti'Pierre a ajouté que les canadiens avaient tout compris à la vie parce qu'au moins eux, ils parquent leurs jeunes dans des endroits bucoliques et tranquilles et pas dans des bâtiments en béton au milieu d'une banlieue sordide.

Pour être précise sur Benj, il n'avait pas étudié à temps plein pendant ces cinq dernières années, parce qu'il avait fallu qu'il travaille pour financer la fac. Deux semestres d'études, un de travail. Vendanges puis livreur de pizza dans le bordelais la première année, puis serveur à Lacanau (il devait rameuter un tas de nanas dans son bar, il aurait dû être rabatteur plutôt !), bon choix pour apprendre à parler couramment le français tout en profitant de l'hospitalité familiale et du surf. Tout s'expliquait.

Il était fier de son système universitaire qui était ouvert à tous et où tu pouvais étudier ce que tu voulais, à la carte. Lui avait choisi des modules annexes, pour apprendre le monde comme il disait. Du coup, il étudiait l'environnement au département de foresterie (le bâtiment était tout neuf et tout en bois, ce qui le changeait du béton du département d'économie), la sociologie et l'ethnologie au département de sciences sociales (vue sur la mer, trop dur !), avec une UV sur les natives (appellation politiquement correcte pour parler des amérindiens et de leur culture que le pays bafoue allègrement par ailleurs, ça c'est moi qui le rajoute !).

Et pendant ce temps-là, à Tapachula (mon été dans les bois)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant