Ce fut une soirée merveilleuse. Un groupe de musicos sous les étoiles : guitare, percus, contrebasse, accordéon, et la voix éraillée d'une chanteuse ; du rythme, de la chaleur, des gars du coin sortis tout droit de leur forêt, chemise à carreau, chapeaux et gros godillots de cuir, de véritables clichés vivants.
Et surtout il y avait les potes, les amis.
Mes amis.
J'avais oublié les rancœurs ; ne restaient que les bons souvenirs.
Même Raphaëlle était ce soir mon amie.
C'était une soirée où la prestance, la convenance et la contenance avaient été bien sagement entreposées au vestiaire. Pas que nous étions saouls, mais plutôt décomplexés. Fini le quand dira-t-on, nous étions ici pour nous éclater, pour nous lâcher. Et personne d'autre que nous ne le saurait jamais. C'est Raphaëlle qui avait donné le ton, à ma plus grande surprise, me prouvant qu'elle pouvait être plus qu'une simple poupée Barbie. Elle était partie dans un délire chorégraphique, entraînant Noz qui n'attendait que ça. Olivia la timide nous montra sa vraie personnalité en sautant dans tous les sens, toujours plus haut et toujours plus longtemps, sa longue chevelure brune balancée de haut en bas au rythme des congas. Jo, ne tenant plus devant ces trois jolies filles, se joint à leur danse, revenant me chercher pour compléter le tableau. Matt et Tom, qui avaient le rythme aussi chevillé au corps que deux vieillards faisant une course en déambulateur, s'évertuaient à se bouger autour de nous, sous le regard hilare de Benj, Ti'Pierre, Mary, Sandra et Bob. Puis Ti'Pierre, toujours prompt à se démarquer par son originalité entra dans le délire et y intégra les poteaux électriques pour une danse érotico-rigide qui déclencha un fou-rire généralisé et faillit faire trépasser Noz. Après quelques minutes de cette chorégraphie que d'aucuns auraient qualifiée de contemporaine, il monta sur la scène pour virevolter autour des musiciens puis sauta dans la foule en visant un bûcheron bien costaud, qui lui épargna l'écrasement fatal au sol comme une vulgaire crêpe. Découflé n'aurait sûrement pas désapprouvé, en y ajoutant certes une bonne dose de grâce.
Comment oublier ces instants magiques de communion, quand la sueur de la danse et de la chaleur du jour couchant nous emmènent dans une douce transe rythmée par la musique qui semble caler ses notes sur nous ?
Comment oublier les sourires de Noz, Olivia, Benj et les autres, la plénitude sur leur figure et l'envie de continuer à s'amuser toute la nuit ?
Comment oublier cette complicité quand Benj m'offre un rock endiablé et tournoyant, si habilement piloté ?
Comment oublier le regard coquin de Ti'Pierre qui prépare un coup et qui semble me dire, trop fier de lui-même, « c'en est une bonne celle-là », avant de faire une percée sur le stand alimentation et d'embarquer le pot géant de sirop d'érable pour un tour de stade ostensible sous les huées des gourmands, et revenir à la case départ poser une énorme bise sur les joues de la cuisinière hésitant entre l'effarement et le fou-rire ?
Comment oublier le calme sur la figure d'Olivia, même transcendée par le plus rapide des beats ?
Comment oublier le regard de Bob qui enveloppe chacun de nous du voile protecteur du père fier de ses rejetons ?
Comment oublier le regard si beau, si clair de Benj qui observe chacun de mes gestes, de mes expressions, de mes tics, avec l'amusement d'un grand frère content de sa petite sœur ?
Comment oublier le flegme de Matt, une bière gigantesque à la main et un sourire énorme sur son visage rougit de soleil, remuant en rythme uniquement avec les pieds et la tête ?
Comment oublier la moue espiègle de Noz qui scrute sans cesse du côté d'Olivia, tout en fumant discrètement une cigarette quémandée tant bien que mal à un joli jeune homme qu'elle n'aurait certainement pas laissé dormir dans la baignoire si l'occasion s'était présentée ?
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Et pendant ce temps-là, à Tapachula (mon été dans les bois)
Storie d'amore« A force de muscles et de sueur, nous retapions la cabane. Ou plutôt à force de sueur, de douleurs et de cris stridents suivis d'un juron lorsque l'un d'entre nous finissait avec le marteau sur le doigt plutôt que sur le clou. Le métier était en...