Certains jours, il faisait tellement chaud, qu'on ne reprenait pas le travail de suite après manger. On décrétait une longue pause. J'en profitais pour me faire une bonne sieste, une sieste flash comme disait Ti'Pierre, qui était d'ailleurs plus marathon que flash quand on le réveillait au bout d'une heure. Je choisissais un endroit tranquille, à l'ombre des pins (épicéas me répétait Ti'Pierre, épinettes corrigeait Tom), pour profiter de ces instants de contemplation avant de sombrer dans un délicieux sommeil bercé par la chaleur de l'air.
Sauf les jours où les bibittes avaient décidé de m'achever. Et là, malgré mon superbe sixième sens et ma ténacité à toute épreuve, il fallait me rendre à l'évidence : faute de zénitude, il ne me restait plus qu'à essayer de trouver le sommeil protégée sous le polyester de la tente bouillante. P... de bibittes ! Pourquoi Noé n'a pas écrasé le couple de maringouins qui essayait de s'incruster dans son arche ?
Certains soirs, je ne sais pas pourquoi, il n'y avait pas de moustiques. Le bonheur ! J'en profitais pour aller tout au bout du ponton regarder les étoiles. Le ciel était profond et la voie lactée grandiose. Ti'Pierre qui connaissait tout m'apprenait des noms de constellations, mais ce que je préférais, c'était leur inventer des noms. Je m'allongeais tout au bout du ponton et regardais. Je restais là des heures, à observer ce ciel immense encadré par les ombres chinoises des arbres et leur cime si joliment torturée. Certains soirs, la lune apparaissait au bout du lac, un disque roux gigantesque et brillant qui s'éclaircissait au fur et à mesure qu'il montait dans le ciel. Elle était tellement grande et proche que je pouvais presque distinguer précisément ses cratères et ses montagnes.
Et la mer de la Tranquillité.
Dans le calme du soir, bercée par le clapotis de l'eau contre les piliers du ponton, rafraîchie par la brise légère qui traversait le lac et enivrée des parfums de résine qui me parvenaient jusqu'ici, je savourais effectivement la tranquillité de la forêt. Bien souvent, sans même m'en rendre compte, je m'endormais là au bout du ponton, sous le scintillement des étoiles, seule ou avec Boulette le chien, sa tête calée sur mes genoux. Je me réveillais alors en pleine nuit, tirée des bras de Morphée par l'humidité. J'avais un peu froid, Boulette était parti : j'étais seule avec la nuit noire et le ciel étoilé. Il avait tourné, je ne reconnaissais plus les étoiles de la veille et la lune avait presque disparu. La brise s'était renforcée et dans la noirceur du lac, je distinguais le froissement des vagues sur la surface. C'était le signe qu'il était l'heure ; le marchand de sable était bel et bien passé. Encore un peu endormie, j'entendais mes pas résonner sur les planches du ponton, puis faire crisser le sable de la rive et craquer les aiguilles de pin. Je m'arrêtais auprès de la lueur rouge, reste du feu éteint depuis longtemps, mais dont l'humidité conservait le fumet. A côté, bercée par le sifflement infime de la braise qui se consume, j'entendais la respiration régulière de Matt qui dormait profondément sur son tapis de mousse. La forêt était presque silencieuse : les insectes s'étaient tus, remplacés au loin par le clapotis de l'eau sur le ponton. Par moments, le hululement d'une chouette ponctuait ce rythme sourd, comme pour prouver désespérément que le concert n'était pas tout à fait fini. Son écho me tirait de ma contemplation et j'entrais à pas de velours dans la cabane chaude et ronronnante (et trop souvent ronflante), trahie par le grincement de la porte et le craquement des barreaux de l'échelle du lit. Et là, enfouie dans mon duvet et parée des miraculeuses boules quies, je m'endormais en rêvant d'étoiles, de lac et de forêt.
Mais le plus souvent, c'était soirée bibittes, donc soirée au coin du feu. Autour d'un poisson pêché par Matt qui cuisait sur la braise ou après le plat de pâtes concocté par Olivia. Il y avait toujours un peu d'alcool, des jeux ou de la musique. C'était ambiance colonie de vacances chez les trappeurs.
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Et pendant ce temps-là, à Tapachula (mon été dans les bois)
Romance« A force de muscles et de sueur, nous retapions la cabane. Ou plutôt à force de sueur, de douleurs et de cris stridents suivis d'un juron lorsque l'un d'entre nous finissait avec le marteau sur le doigt plutôt que sur le clou. Le métier était en...