Heinrich n'était pas du tout comme l'avait imaginé Chloé : il était petit, trapus, et avait une barbe assez fournie. Il semblait dans la cinquantaine, mais avait en effet ce regard fou qui faisait penser qu'il pouvait vous tuer n'importe quand.
La jeune femme s'était rendue à l'usine comme si elle le faisait tous les jours depuis plusieurs années. Elle avait enfilé une blouse de travail que lui avait donné Martial et arborait une mine convaincue. Dès qu'il la vit, le nouveau directeur de l'usine sembla sortir de ses gonds. Il accueillait les ouvriers à l'entrée du bâtiment, et il se dirigea droit vers Chloé.
- Les femmes n'ont rien à faire ici !tonna-t-il d'une voix étonnamment aiguë.
- Et bien vérifiez vos listes, car je suis dessus.
- Vous... Vous êtes Chloé ?dit-il d'un ton hagard.
- Et oui, donc si vous le voulez bien, je vais passer cette porte et me mettre au travail.
Et sans attendre de réponse, elle passa la porte et rejoint la chaîne de production. Elle voyait du coin de l'œil que Heinrich ne la lâchait pas du regard, comme s'il craignait qu'elle ne fasse tout sauter. Elle s'appliquait à faire du bon boulot, faisant de belles munitions, mettant la bonne dose de poudre, et empilant les caisses bien parallèlement.
Après une heure de travail méticuleux, un homme vint chuchoter à l'oreille de Heinrich qui, apparemment à contre cœur, arrêta de fixer Chloé pour se rendre dans son bureau. La jeune femme se demanda s'il était aussi vide que celui de René, mais elle n'y alla pas pour autant.
Elle continua à travailler ainsi pendant toute la journée, Heinrich revenant toutes les heures pour la fixer, vérifiant qu'elle n'était pas une menace. Chloé, inconsciemment, prenait des notes sur le lieu, sur le comportement du nouveau directeur et sur ses compagnons de travail. En effet, la seule autre femme de l'usine était une dénommée Marie, la secrétaire de Heinrich. Chloé l'avait vue plusieurs fois, suivant de près son supérieur. Elle la soupçonnait d'être une française forcée de travailler pour l'envahisseur. Elle nota dans un coin de sa tête la possibilité d'en faire une alliée.
Après une journée de travail, elle retourna au manoir, en prenant soin de prendre un itinéraire exceptionnellement long, au cas où son nouveau patron ait décidé de la faire suivre. Elle retrouva Martial à la même place, assis dans son siège en bois massif. Chloé remarqua qu'il y avait d'innombrables détails dans les accoudoirs et sur le dossier du siège. C'était un travail d'orfèvre, pas une simple chaise en bois. Dès qu'il la vut passer la porte, il se redressa sur ses pieds et courut presque vers elle.
- Tu vas bien ? Tout c'est bien passé ?
- Oui, et oui, ne t'en fais pas. Je suis une grande fille.
Elle le gratifia d'un sourire confiant, que lui rendu aussitôt le jeune homme.
- J'ai beaucoup repensé à tout à l'heure et...
- Chut, le coupa Chloé avant de plaquer ses lèvres contre les siennes
Que ça lui faisait du bien. Embrasser Martial lui sortait Charles de la tête, ce qui ne pouvait qu'être positif.
- Chloé, il y a quelque chose que je voulais te montrer, tu me suis ?
- Bien sûr.
Main dans la main, ils montèrent les escaliers, jusqu'à atteindre le palier. Là, le chef de l'Armée Secrète fit signe à la jeune femme de ne pas faire de bruit en posant un doigt devant sa bouche, puis indiqua la porte sur laquelle était gravés des tas de noms. Martial marcha vers cette dernière d'un pas décidé, tout en ne faisant aucun bruit, malgré le plancher grinçant. Il mit sa main dans sa poche et en sortit une toute petite clé, de la taille du petit doigt de Chloé. Là, il s'intéressa au côté gauche de la porte. Même dans la pénombre, la jeune femme parvint à distinguer le prénom gravé : « Louis ». Martial inséra sa petite clé au milieu du « O » du prénom. Il y eut un déclic très peu sonore, puis la porte pivota sur des gonds invisibles, pour laisser place à une grande pièce, spacieuse. Martial fit signe à Chloé d'entrer la première. Quand elle passa l'entrée, elle vit un bureau parfaitement rangé sur sa droite, avec une chaise similaire à celle qui était dans le salon, devant la grande table en bois. A côté du bureau, il y avait une grande armoire, qui disposait d'une multitude de tiroirs. Chloé tourna la tête vers la gauche, et se vit un grand lit à baldaquin. Sur le mur du fond, il n'y avait aucun meuble, juste des portraits, soit dessinés, soit des photos en noir et blanc. Sous chacune d'entre elles était fixée une petite plaque doré, avec un prénom et un nom, ainsi que deux dates liées par un tirait : des dates de vie et de mort. La jeune femme se tourna vers Martial.
- Tous les gens tombés pour notre cause, tous ceux qui sont morts par la faute des allemands, que des gens que j'ai bien connus, dit-il avec une profonde tristesse dans la voix. Même si avec ce qui arrive, il est difficile d'être croyant, je prie chaque jour qui passe pour ne jamais avoir à accrocher un autre portrait ou une autre photo à ce mur.
Chloé vit alors qu'il pleurait. Cet homme l'impressionnait, il était grand, semblait fort et avait un charisme à toutes épreuves. Mais l'idée qu'il puisse pleurer n'avait jamais effleuré l'esprit de Chloé. Du peu qu'elle savait de lui, il était tout le temps droit et ne laissait jamais transparaître ses émotions, sauf quand il était avec elle.
- Calme-toi, tu n'en n'auras jamais d'autre à remettre.
- Ce n'est pas le fait d'en mettre un autre dont j'ai peur, c'est de mettre le tien.
Là, il se pencha et reposa un baiser sur les lèvres de Chloé. Martial poussa la porte, et ce fut le début d'une nuit pleine d'amour.
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Les Choix de Chloé [Terminée]
Ficção CientíficaChloé était une étudiante tout à fait normale jusqu'à ce que la découverte d'une machine dans le garage de son père, scientifique et inventeur, ne la ramène près de cent ans en arrière, à une époque qu'elle ne connait pas, une époque dans laquelle e...