Vingt-huit minutes et quarante-deux secondes...
Ce moment de silence était si pesant que j'en étais arrivé à compter les secondes qui s'écoulaient; et ces quelques minutes me semblaient comparables à deux éternités. Théo qui d'habitude ne pouvait s'empêcher de jacasser était aussi muet qu'une tombe un soir d'hiver, son regard toujours aussi assassin. Il m'en voulait donc à ce point !Nous nous étions installé à la véranda, lui sur un canapé en bois d'acacia, contre le mur, et moi en face de lui, sur un fauteuil du même bois, une table entre nous. Je ne saurais trop dire si je transpirais du dos à cause de ce soleil de fin d'après-midi qui me frappait de plein fouet - et Dieu sait que d'ordinaire, ce soleil est d'une douceur aussi reconfortante que l'étreinte d'un amant passionné -, ou juste parce que je devais faire face à un Théo qui avait tous les droits de m'en vouloir. J'avais toujours détesté l'idée de m'humilier devant qui que ce soit, mais pour mon ami, je devais bien mettre de côté mon égo.
- Euh... alors comme ça, vous avez rompu, Sophia et toi ?
Il soupira d'agacement. Il est vrai que ma question était d'une stupidité frustrante: ce n'était pas un scoop, la chose datait de plus de deux semaines et tout le monde était au courant. Je n'en revenais pas d'avoir tant de mal à lancer la discussion.
- Vous sembliez si bien tous les deux, répris-je. Elle t'a dit pourquoi elle a voulu rompre ?
- Tu veux vraiment jouer à ça ? me répondit-il avec cette même froideur. Genre tu viens te payer ma tête, c'est ça ?
- Bien-sûr que non ! J'essaie de comprendre, c'est tout.
- Comme si tu savais pas. Je parie même que t'es le premier à qui elle l'a raconté; je me trompe ? Elle cherchait du reconfort, c'est ça ?
Waouh ! Il avait vu juste. La connaissait-il donc à ce point ? En même temps, cela ne relevait pas de la magie, Sophia avait toujours eu ce côté "prévisible". N'empêche que cela me mettait dans une situation très embarrassante.
- Et donc, réprit-il avec un ton un peu plus calme après quinze gênantes secondes à observer ma réaction, tu viens t'assurer que je ne t'en veux pas d'avoir draguer ma copine...
- Ton ex, lui ai-je coupé la parole.
Penchant légèrement la tête sur le côté, il me lança un de ces regards, que l'espace d'une seconde, j'eus plus peur de lui que je ne l'avais jamais eu d'Ayana. Cette remarque était de trop, je l'ai senti à la seconde même où elle a glissé de mes lèvres.
- Désolé, fis-je.
- Donc, tu viens t'assurer que je ne t'en veux pas d'avoir dragué mon EX alors qu'on était encore ensemble, et qu'à cause de toi, elle a rompu avec moi. C'est ça ou je me trompe ?
- S'il faut résumer la chose, lui répondais-je sans faire de détour inutile, ouais, c'est bien ça !
- Au moins t'es honnête, c'est déjà ça.
Il semblait moins introverti et froid désormais. Comme quoi une faute avouée est à moitié pardonnée. Je commençais à reconnaître mon vieil ami.
- Si ça peut te rassurer, répris-je, je ne l'ai plus revue depuis. Toi et moi, on se connait depuis toujours; je pouvais pas laisser une fille gâcher notre amitié. Les potes avant les meufs, tu le sais.
- Mouais, t'as attendu de gâcher mon couple pour te souvenir que les potes passaient avant les meufs, hein !
Je ne pouvais rien répondre à cela, alors je me contentais d'un sourire faussement crédible.
- Tu l'aime ? Me demanda Théo.
Je ne savais trop quoi lui répondre, lui qui semblait désormais si ouvert; ma réponse pourrait le chagriner plus qu'il ne l'était déjà. Mais je ne pouvais pas non plus me permettre de lui mentir, il le saurait aussi tôt et m'en voudrait de me payer sa tête sur un sujet aussi sensible.
- Tu peux être franc avec moi, réprit-il, je ne t'en voudrai pas. Tu l'aime ou c'est juste une conquête de plus comme à ton habitude ?
- Oui, répondis-je avec un peu d'hésitation, je l'aime.
- Alors pourquoi tu joues avec elle ? Si elle m'a largué, c'est parce qu'elle t'aime.
Pour être honnête, je ne m'étais pas attendu à ce qu'il me dise ce genre de chose, vu comment il a été blessé par cette rupture et le fait qu'il ne voulait pas me voir au départ. Lévant les sourcils et écarquillant les yeux, j'essayais, par le regard, de lui demander: "à quoi tu joues ?".
Pourtant, il ne semblait pas plaisanter, tranquillement s'était-il allongé sur ce canapé, comme quelqu'un qui prenait du bon temps, bercé par les rayons mourant de ce soleil de fin d'après midi.- Pourquoi tu me regarde comme ça ? me demanda t-il avec un sourire après avoir remarqué mon regard.
- Tu te souviens quand même que tu m'en voulais encore y a cinq minutes pour les mêmes raisons hein ? lui demandais-je ironniquement.
- Ouais, mais bon, ce qui est fait est fait !
- Pour être honnête, tu me fais un peu peur, mec. Si je te connaissais pas, je penserais que t'es en train de me piéger.
- Non mais en fait, je veux juste le bonheur de Sophia. Et si c'est avec toi qu'elle le trouve, cool !... Pour être honnête, quand elle m'a dit pourquoi elle voulait rompre, ça m'avait agacé. Je l'aimais pour son honnêteté, mais sur le moment, ça m'énervait. Je lui en voulais. Et quand elle m'a dit que le mec dont elle était amoureuse, celui qu'elle n'arrivait pas à oublier, bah c'est toi, je t'en ai voulu aussi. Mais j'ai eu le temps de réfléchir depuis, et je trouve que c'est mieux comme ça. Je n'aurais pas supporté d'être avec une fille qui n'arrête pas de penser à un autre mec. Finalement, sa franchise était une bonne chose.
Waouh ! Je n'aurais jamais imaginé Théo parler ainsi, avec tant de sérieux et de profondeur. Je découvrais une nouvelle facette de mon ami.
- De toute façon, disais-je, Sophia et moi ne pouvons pas être ensemble. C'est le destin qui le veut.
- C'est quoi cette connerie encore ? De quel destin tu parles ?
- Un vieillard un peu chelou m'a abordé un jour pour me mettre en garde, d'une certaine manière, de ne pas me mettre avec Sophia. Il m'a même donné un journal, celui d'un mec qui a vécu la même chose, et d'après ce journal, nous ne sommes pas les premiers, Sophia et moi. Un peu comme si le destin ne voulait pas que l'on connaisse l'amour. Comme si c'était un jeu pour lui de nous en priver.
- Tu t'entends parler au moins ? Un vieillard te file un roman et plouf! Tu veux plus de Sophia ? Moi qui te prenais pour un mec intelligent...
Je sortais alors le journal de Monsieur D. de mon sac à dos et le lui passais. Je pouvais très bien deviner ce qu'il allait me dire, mais je voulais qu'il le lise et me donne son avis, pour savoir si mes craintes étaient fondées ou si j'étais juste naïf....
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Tu devras mourir
Romance" Que le destin peut parfois être cruel... " Stéphane est depuis quatre ans amoureux de la même fille, Sophia, mais il n'a jamais proprement déclaré son amour. Le jour où, enfin il a le courage de se confronter à sa bien-aimée, le destin se dresse c...