Chapitre 13

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Je sortais de la voiture et me dirideais vers la maison. Je n'avais jamais autant redouté de mettre les pieds chez moi. Je redoutais sa colère, mais encore plus sa déception. Trois pas, avais-je déjà fait dans ce suspens, puis un quatrième. Je jetais ensuite un dernier regard en arrière et voyais Lana essuyer une larme indiscrète. Je me détournais aussi tôt afin qu'elle ne remarqua pas que je l'avais vu pleurer en secret. J'entrais dans la maison sous ses encouragements les plus vifs - aussi vif qu'elle le put, - et je feignis un sourire, mêlé de beaucoup de compassion. À vrai dire, en cet instant, nous essayions de nous tromper l'un l'autre avec des faux sourires.

J'entrais dans la maison et refermais très lentement la porte, avec l'espoir que ma mère soit déjà endormie afin de traverser le salon incognito. La dernière fois que j'étais rentré défiguré, elle n'avait rien remarqué sur le moment, mais m'avait quand passé un savon le lendemain. J'espérais que le miracle se répète, qu'elle ne remarque pas.

- Pourquoi tu rentres à la maison sur la pointe des pieds comme un voleur ? me demanda sa voix qu'il m'était impossible de ne point reconnaître. Il est seulement vingt-trois heures, tu n'as pas encore dépassé ton couvre-feu.

Je m'arrêtais net, les épaules raides.

- Bonsoir m'man, fis-je. Je croyais que tu dormais déjà vu que tu ne traines jamais devant la télé sans t'assoupir. Je voulais pas te réveiller.

- À moins que tu me caches quelque chose. Retournes-toi, Stéphane, et viens plus près que je te vois.

Elle ne me connaissais que trop. Je me rapprochais donc. Elle constata mon état et son visage rougit à vue d'oeil d'une colère bleue mélangée à de l'inquiétude maternelle.

- Tu t'es encore battu, Stéphane, tu t'es encore battu ! me hurla t-elle.

Elle prit un peu de temps pour expirer, retenir ses pulsions de me sauter dessus, - pour m'examiner ou peut-être me dévorer tout cru. - Elle se calma, puis me regarda avec un sourire de tueurs en série, comme ceux dans les mangas japonais.

- Qu'est-ce qui s'est passé, cette fois ?

- C'est rien, maman, je me suis juste pris un poteau sans faire attention.

- On va recommencer, et si tu oses prendre ta mère pour une conne encore une fois, je te promets que je vais te tirer les tripes par les narines.

Cette phrase me glassa le sang. Le simple ton sur lequel elle le dit suffit à me faire frôler une sinusite.

- Qu'est-ce qui s'est passé cette fois, Stéphane ? répéta t-elle.

- Je me suis battu avec un abruti avec une queue de chaval qui m'a traité de crétin. Je suis désolé, m'man.

Je n'avais jamais raconté à ma mère mes histoires de coeur, quand bien même elle insistait pour pouvoir jouer les conseillères. Mais malgré le fait que j'avais une nouvelle petite amie tous les quatre mois, elle s'est toujours doutée de mes sentiments pour Sophia et même elle pouvait deviner les siens à mon égard.
Je ne comptais pas non plus en dire plus sur ce qui s'était passé cette fois. J'aimais mieux être vu d'elle comme un idiot excessivement impulsif que comme un garçon manifestement jaloux.

- Alors tu te bats juste parce que quelqu'un te traite de crétin ! recommença t-elle à me hurler dessus tout en me lançant tout ce qui lui passait sous la main. Tu sais quoi ? C'est vrai, t'es un crétin ! Combien de fois je dois te dire d'arrêter de te battre avec tout le monde ? Combien de fois, hein ?...

Elle s'était vite essoufflée, je trouvais. Mais ce n'était que le calme avant la vraie tempête.

- Tu es sensé être l'aîné, Stéphane, réprit-elle; tu es sensé donner l'exemple aux deux autres.

- Maman, tu me fais encore plus mal.

- Arrête de répondre, sale enfant irrespecteux ! Tu n'avais pourtant pas mal quand on te ruait de coup à ta stupide fête. Bien-sûr que non ! Monsieur se prenait pour un dur !...

Quoi que je pus dire, elle n'en avait que faire. Dans ces moments-là, elle oubliait que j'avais désormais dix-neuf ans, je n'étais plus le petit garçon qu'elle avait l'habitude de corriger à coup de fouet. Mais je la comprenais: la dernière fois, je lui avait promis que je ne me battrais plus, et je ne pus pourtant m'en empêcher. Je m'en voulais de lui causer de la peine et une telle déception. Pour quelqu'un d'intelligent, je répétais un peu trop les mêmes erreurs.

Elle finit de faire grief au ciel de mon manque de tempérance et m'envoya dans ma chambre. En y montant, je pris Melissa et Victor en plein espionnage. Ils étaient beaucoup trop amusé par la scène pour veiller à une quelconque discrétion. Il leur en a fallu de peu pour que le courroux de ma mère ne leur retombe dessus.

- Je croyais vous avoir dit d'aller au lit depuis une heure, vous deux ! fit-elle avant qu'ils ne s'empressent de s'exécuter comme si leurs vies en dépendaient.

Une fois dans ma chambre, - encore plus endolori que lorsque j'avais quitté la fête, - je me laissais tomber de tout mon poids sur le lit. J'étais éreinté, harassé, las de cette journée et de cette soirée. L'une me parut beaucoup trop courte tandis que l'autre me fut interminable. J'enfonçais mon visage dans l'oreiller, grognant de lassitude. Tout ce que je voulais faire, c'était fermer mes paupières en attendant qu'un nouveau jour fade ne m'oblige à les ouvrir.

Par habitude, je pris mon téléphone et me connectais à internet pour voir si elle était en ligne. Après la bagarre, l'ambiance de la n'a plus été la même; la police arriva également peu après sur plainte des voisins pour tapage nocturne et cela mis un point final à la soirée. Je supposais donc qu'elle était chez elle depuis un moment.

Elle était là.

Peut-être était-ce un hasard, mais je préférais penser qu'elle était encore fidèle à notre vieille routine. Cette possibilité suffisait à me donner de l'espoir, - infime certes, mais espoir tout de même. Alors je lisais tous les messages qu'elle me laissa depuis ce jour là. Je les lisais et les relisais, et je fus brièvement épris d'une envie folle de lui écrire.

" Je suis désolé, vraiment désolé que ça m'est pris si longtemps... ", commençais-je à taper.

Mais ce sentiment revint me hanter, un peu plus fortement qu'avant. Ce même sentiment étrange. Alors l'entrain avec laquelle j'étais décidé à lui écrire s'évanouit et je jetais le portable sur le côté après avoir effacé mon message et m'être déconnecté. Je ne savais toujours pas ce qu'était ce sentiment ni pourquoi cette nuit-là elle m'étouffa au point que je ne pus retenir une larme de tristesse dans mon sommeil...

Tu devras mourirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant