Prologue

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— Un jour mon prince viendra,

"Heureux, comme avant" 


Automne 1804 – Birmingham, Royaume-Uni


— 3 pence ! "The Times" ! 3 pence ! 3 pence !

Les pieds nus et souillés par l'eau boueuse des caniveaux, l'enfant vendeur de journaux s'égosille la voix. Les passants ne s'arrêtent pas. Il pleut sur Birmingham. Les habitants courent à leurs occupations, ils le frôlent, lui et sa pile de journaux abîmée par la pluie. Le garçon les regarde avec attention. Des hommes et femmes élégants que la révolution industrielle du pays a emporté avec elle. Le Royaume-Uni a inventé la locomotive à vapeur. Il l'a appris, à l'école, mais c'est dans la vie de tous les jours qu'il a compris qu'une partie de la population n'a pas eu le temps de sauter à l'intérieur. Une partie de la population est restée sur le quai de la gare, et la ville, le pays, le monde entier a continué sa course folle, sans ses retardataires.

— 3 pence ! Il répète, les doigts de pieds congelés. 3 pence ! "The times" ! 3 pence !

— Bonsoir.

Louis se retourne, étonné de cette voix chaleureuse qui lui est adressée. Un jeune garçon se plante devant lui. Deux émeraudes vertes se fixent à ses yeux fatigués. Il fait sa taille. Il a son âge, peut-être un peu plus jeune. Ils pourraient presque être les mêmes. À l'exception près qu'un des deux est monté dans la locomotive. Le garçon aux yeux verts et aux cheveux bouclés porte un tailleur élégant, comme celui de son père qui se tient derrière lui, une main posée sur son épaule en signe de protection. L'enfant a un foulard en soie noué autour du cou. Louis aimerait connaître cette sensation de chaleur et de douceur.

—- Je souhaiterais vous prendre un journal, s'il vous plaît, reprend le garçon d'une voix fluette.

Louis ne comprend plus très bien ce petit garçon qui parle si poliment. Il ne dit rien et attrape le premier journal sur la pile pour lui en tendre un. La paume de l'enfant s'ouvre sur un bob, tout rond et brillant. Un shilling, c'est quatre fois le prix du journal !

Louis louche sur la pièce en argent avant de la tenir dans ses petites mains crasseuses, comme s'il s'agissait d'un trésor.

— Merci.

— Père, se retourne l'enfant aux cheveux bouclés. Ce garçon semble si malheureux. Ne devrions-nous pas faire preuve de bonté ?

L'homme regarde son fils, d'un air attendri, avant de poser son regard sur ledit malheureux. Louis reconnaît aussitôt cette allure, cette classe, cette renommée. L'altesse royale, le prince Desmond, duc de Birmingham, cousin du roi George III en personne. Louis n'ose plus parler et baisse les yeux sur ses pieds nus et pleins de terre.

— Oui, Harold, répond l'homme en sortant de la poche de son veston un billet d'une pound. Prends, mon enfant.

Le duc tend l'argent à Louis, mais celui-ci n'ose pas le recevoir. Et si c'était un piège ?

— Prenez, murmure poliment l'enfant aux cheveux bouclés.

Louis relève son regard vers ses deux iris réconfortants. Il a un futur prince en face de lui, pourtant, dans ses yeux, c'est juste un garçon comme un autre.

— Merci, répète-t-il, attrapant le billet avant de l'enfoncer dans le fond de poche de son pantalon en toile.

— Tu ne devrais pas être dehors à une heure aussi tardive, reprend le duc. Rentre chez toi, je pense que tu as bien reçu une journée de salaire.

Après minuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant