Chapitre 10

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– À nos actes manqués

« À tous les murs que je n'aurais pas su briser »


Hiver 1815 – Vienne, Empire d'Autriche


Je repose mes lettres sur le bureau. Une de ma mère, une autre d'Ella et une de Niall. Toutes trois arrivées dans le courant de la semaine dernière. Je les relis, quelque fois. Ils me racontent leurs vies à Birmingham, ils me souhaitent de rentrer rapidement, ils me disent qu'il y a un vide dans la maison depuis que je suis parti. C'est presque réconfortant de savoir que la vie ne continue pas totalement sans moi, qu'il y a une part de moi chez eux, une part d'eux chez moi. Nous sommes début février, cela fait déjà trois mois que j'ai quitté le Royaume-Uni en compagnie du prince.

Il y a quelques semaines, j'ai rencontré le fameux duc de Wellington. Un homme intéressant en dépit de toutes les morts qu'il a données pour devenir le héros de guerre qu'il est aujourd'hui.

Je passe devant ma coiffeuse et ajuste mes cheveux d'un coup de main. J'ai rendez-vous avec le duc de Birmingham et Wellington, justement. Ils m'ont informé hier, dans la soirée, qu'ils souhaitaient me parler de l'avenir. Selon le prince, il serait question de me trouver un emploi à Londres, à notre retour.

Je sors de mes appartements et rejoins la réception où nous nous sommes donnés rendez-vous. Les deux hommes sont déjà installés à une table, fumant un cigare.

Je presse le pas.

— Suis-je en retard ?

— Du tout, me rassure le duc de Birmingham. Nous étions en avance. Prenez place, Louis.

Je m'installe avec eux autour de la table. Ils me proposent un cigare que je décline d'un geste de la tête.

— Que pensez-vous du congrès Louis ? M'interroge le duc de Wellington.

Le duc est arrivé à Vienne, il y a deux semaines, pour remplacer l'ancien représentant du Royaume-Uni, le lord Castlereagh. Je me doute qu'il a déjà dû étudier toutes les propositions qui ont été faites. Dès lors, j'ignore pourquoi mon opinion les intéresse.

— Dois-je répondre sincèrement ?

— Nous vous invitons à le faire, sourit le duc de Birmingham.

— C'est un terrible échec.

Le duc de Wellington fronce des sourcils en tirant sur son cigare. Je suppose que ce n'est pas la conclusion qui lui a été apportée par le lord de Castlereagh. Le Royaume-Uni est pour le moment une des grandes gagnantes de ces compromis. Elle a conservé toutes ses colonies et ses bases navales, lui assurant d'être la plus grande puissance maritime du siècle.

— Pourquoi une telle impression ? Me demande-t-il.

— Nous espérons établir l'avenir de l'Europe sur les bases du passé, parce que ce sont les seules que nous maitrisons. Nous avons rétabli l'ancien ordre monarchique : Ferdinant VII en Espagne, Louis XVIII en France, énuméré-je. Les pays de la Sainte-Alliance sont des monarchies absolues. Nous nous partageons les territoires en faisant abstraction des peuples. Ce n'est aucunement une recherche de la paix, c'est simplement un calcul stratégique afin d'être le plus puissant.

— Et nous le sommes, conclut le duc de Birmingham. Pourquoi cela serait-il un échec ?

— Parce que l'histoire n'est pas figée. Les peuples oppressés se réveilleront un jour où l'autre.

Après minuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant