Chapitre 9

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– La foule

« Ecrasés l'un contre l'autre, nous ne formons qu'un seul corps »


Hiver 1814 – Vienne, Empire d'Autriche


Le congrès de Vienne : une immense mascarade regroupant toute l'Europe monarchique dans une seule et même capitale. Des mois de festivités et de mondanités dans des réceptions interminables. Tout le gratin diplomatique de notre époque.

J'observe le fond de mon verre alors que cette triste pensée me traverse l'esprit. Je pensais participer à l'un des événements majeurs du siècle alors que j'enchaine simplement soirées mondaines sur soirées mondaines.

La ville de Vienne est magnifique, cependant, et je ne regrette pas les dix jours de voyage qui ont précédés notre arrivée. L'essentiel de la route s'est fait en diligence, une partie en bateau. Le prince m'a donné mes premiers cours de français, la langue diplomatique par excellence. Mais mes connaissances sont encore trop drastiques pour tenir une conversation avec les autres délégations.

Harry avance dans ma direction. Il est très élégant, ce soir, comme tous les soirs que nous passons à la cour impériale. Ces mondanités sont censées occuper les nombreux courtisans qui ont suivi leurs délégations. Ainsi, tout le monde semble oublier que nous sommes ici pour établir de nouvelles frontières européennes... Enfin, « nous ». La plupart des pays présents à Vienne font office de décor. Les décisions importantes sont laissées aux quatre grandes puissances : la Russie, la Prusse, l'empire d'Autriche et le Royaume-Uni, bien entendu. La plupart de ces décisions sont prises lors de réunions secrètes, à huis clos, et les autres états doivent seulement approuver le texte final. C'est tellement facile qu'ils n'ont plus qu'à profiter des festivités. Ce qu'ils font tous avec brio.

— Quelle triste mine vous portez ce soir, Louis.

Je relève mon regard vers le prince, avançant mon verre pour trinquer avec lui. Nous buvons tous les deux. Nous buvons tout le temps tous les deux. Heureusement qu'il est là. J'aurais quitté cet endroit depuis longtemps s'il n'avait pas été mon compagnon de voyage.

— C'est bientôt Noël.

— Vous auriez aimé le passer avec votre mère, comprend-il.

— J'ai reçu une lettre de sa part dans la matinée. Elle est ravie de me savoir ici.

C'est un euphémisme. Ma mère était au bord de l'extase quand je lui ai annoncé être invité au Congrès de Vienne avec la délégation britannique. Elle ignore cependant que je suis accompagné du prince.

— Vous lui manquez ? Poursuit-il.

— Oui, elle aurait aimé que je passe les fêtes avec elle.

— Nous célébrerons Noël comme il se doit ici, je vous le promets, ajoute-t-il.

— Nous célébrons déjà chaque jour comme il se doit, peut-être même un peu trop.

Le prince esquisse un sourire avant de reprendre sur un ton plus solennel :

— Mon père m'a appris une grande nouvelle ce matin.

— Tayllerand a enfin quitté le pays ?

— Non, cette saleté de français est bien accrochée, gronde Harry, qui ne le porte pas dans son cœur, tout comme moi.

Après minuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant