Chapitre 4

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– Chez ces gens-là

« On ne vit pas, on triche. »


Printemps 1814 – Birmingham, Royaume-Uni


— Tu y retournes encore ?

La question d'Ella résonne dans le hall de la maison. Je ne prends pas la peine de me retourner vers elle, j'ai toujours la main posée sur la poignée.

— Tu devrais être couchée à cette heure-là, commenté-je, en ouvrant la porte d'entrée.

— Louis, tu y vas tous les soirs. Tu dois arrêter ça.

— Qu'est-ce que ça peut te faire ?

— C'est dangereux là-bas. N'y va pas, s'il-te-plaît.

Je referme doucement la porte de la maison. Je ne peux pas prendre le risque qu'Ella prévienne ma mère que je vais dans les quartiers pauvres toutes les nuits. Je me retourne vers ma demi-sœur.

Ella se tient devant moi, emmitouflée dans sa robe de chambre et les cheveux emmêlés. Elle devait dormir et a dû se réveiller en m'entendant descendre l'escalier. Sa chambre est juste en dessous.

— Je ne risque rien.

— Pourquoi tu y vas ? Pourquoi retourner là-bas ?

— Je m'y sens bien.

— Tu te saoules, rétorque-t-elle. Ce n'est pas se sentir bien.

— C'est une manière de l'être.

— Tu peux boire ici. Pourquoi aller là-bas ?

Je ne suis pas d'humeur à avoir un débat cette nuit. Je fais ce que je veux de ma vie et elle n'a rien à me reprocher.

— Laisse-moi tranquille, rétorqué-je.

J'ouvre la porte de nouveau, passant un premier pied à l'extérieur de la maison, lorsque je l'entends déclarer dans mon dos :

— Tu ne fais plus partie de ce monde-là, Louis. Pourquoi tu t'accroches à ces misérables ?

Je me retourne brusquement vers elle, furieux qu'elle ose me tenir tête. Mais Ella continue, ses yeux plantés dans les miens :

— Tu cherches juste à te convaincre que tu n'es pas devenu le bourgeois que tu as toujours hait. Mais tu n'es plus comme eux et ça te tue.

Je me fiche de ce qu'elle peut bien penser et sors définitivement de la maison, sans lui répondre. Je doute qu'elle ait le cran de tout raconter à ma mère, en réalité. Puisqu'elle aurait à supporter ma colère et qu'elle me connait assez bien pour s'éviter ce carnage.

J'enfonce les mains dans mes poches et avance dans la nuit noire. C'est vrai que j'y suis retourné tous les soirs, depuis cette nuit où j'ai vu l'enfant vendeur de tabac. J'ignore la raison. J'en ai juste ressenti le besoin. Je suis retourné au même bar que la dernière fois. Liam était là. Il avait l'air énervé quand il m'a vu. Pourtant, il n'a rien dit. Il s'est contenté de s'asseoir à ma table. Nous avons bu et discuté, de tout et de rien. A ce moment-là, je me suis senti à ma place.

*

— Une autre ! S'esclaffe Liam, en faisant vibrer son verre contre le bois du comptoir. Louis aussi !

— Avec plaisir, approuvé-je, en imitant son geste.

Le gérant du bar récupère les deux pintes pour les remplir de bière à nouveau, puis il les repose devant nous. Je vais encore avoir du mal à rentrer chez moi, je réalise en observant la mousse blanche dégouliner le long de la paroi.

Après minuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant