Chapitre 2

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 – L'aigle noir

« Comme tombé du ciel, l'oiseau vint se poser »


Printemps 1814 – Birmingham, Royaume-Uni


— Belle matinée, n'est-ce pas ? 

Je sors brusquement de ma lecture pour croiser le regard de Niall. Je n'ai pas l'habitude que l'on m'adresse la parole sur ces bancs du jardin public où j'aime m'y réfugier. Surpris, je l'observe s'installer à côté de moi. Il relève son visage vers les rayons du soleil et apprécie la chaleur s'échouer sur sa peau. Il sourit. La vie a l'air si simple pour lui.

Je referme mon livre, le posant sur mes genoux, pour profiter du temps ensoleillé. Le bâtiment de briques rouges devant nos yeux est imposant. La faculté de droit de Birmingham ou la nouvelle église des temps modernes, je songe. Le common law a remplacé la Bible, le professeur a remplacé le prêtre, la société a remplacé la communauté, le citoyen a remplacé le croyant. On ne croit plus en Dieu, on croit en la loi. Ou, comme moi, on ne croit plus en grand-chose. Parce que, ni Dieu, ni la loi, n'ont su protéger les pauvres gens.

— Le bal était soporifique, reprend Niall, le visage toujours tourné vers le soleil. Tu as bien fait de partir.

— N'as-tu pas trouvé quelqu'un à ramener dans ta couche ? M'étonné-je.

— Pas cette fois, non.

— Que s'est-il passé ?

— La belle du prince a fui à minuit, toutes les autres femmes ont cru avoir leur chance avec lui.

— Pourquoi a-t-elle fui ?

— Si seulement il le savait, répond Niall. J'ai cru comprendre qu'il la cherchait partout depuis le bal.

Je retiens un rire et Niall m'interroge, curieux :

— Quoi dont ?

— Le prince est tombé amoureux. C'est un privilège que nous ne devrions pas leur laisser.

— L'amour n'est pas un privilège Louis, mais une malédiction.

— C'est le libertin qui parle ?

— L'homme, me corrige-t-il. L'homme avec un grand H. Crois-moi, l'amour est la pire des calomnies.

— Pourquoi ?

— Les hommes se tuent pour des territoires, pour des religions, pour de l'argent ou pour le pouvoir. As-tu déjà vu des hommes se tuer au nom de l'amour ?

— Non.

— Parce qu'ils sont morts, déjà, à l'intérieur. C'est un combat perdu d'avance.

— Tu es mort à l'intérieur ?

Niall se retourne vers moi, je lis dans ses yeux qu'il en a probablement trop dit. Peut-être le malheur des libertins ne tient pas tant au fait qu'ils aiment trop les femmes, mais qu'ils en ont aimé une plus que les autres, en vain. Alors, par vengeance ou désespoir, ils se convainquent qu'ils retrouveront avec mille femmes ce qu'ils ont perdu avec une seule. Ils ont tort. On ne retrouve jamais ce que l'on perd.

Il bifurque son regard vers le grand bâtiment de briques rouges, devant nous.

— Tu étudies ici, Louis ? Reprend-il la conversation.

Après minuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant