Chapitre 4

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« Quoi, encore ? » sembla penser le Professeur, mais il se contenta de donner la permission d'entrer.

- Messieurs, dit l'homme qui entra (était-il resté le bras en l'air, prêt à frapper à la porte, durant tout ce temps, à cause de la boucle temporelle ? Fort probablement, même s'il ne s'en était pas rendu compte lui-même).

Il s'agissait du Professeur Référent de l'Académie des garçons, celui qui dirigeait cette partie de l'Académie.

- Professeur, dirent les élèves qui n'eurent pas à se lever car ils étaient toujours debout. Les plus petits commençaient à ne plus tenir en place.

- Messieurs, je viens avant le début de votre cours pour vous communiquer une nouvelle importante.

Le silence planait sur la classe.

- L'un de vous aura huit ans la semaine prochaine, n'est ce pas ? Qui est-ce ?

Le jeune ami du Docteur avança timidement d'un pas. Il savait déjà ce qui allait lui être annoncé.

- Moi, Professeur.

- Eh bien monsieur, réjouissez vous, car votre cérémonie du Schisme Irascible aura lieu le jour de vos huit ans. Soyez prêt. Messieurs.

Sur ce, il partit. Le petit garçon souhaita qu'un trou s'ouvre sous ses pieds et l'engouffre, mais il se rendit compte que c'était probablement ce qui allait lui arriver une semaine plus tard.

- Bien, fit le Professeur, toujours aussi flegmatique. Peut on commencer le cours à présent ?
Le Docteur crut déceler une pointe d'agacement dans sa voix.


Cette nuit-là, après la Cérémonie du Soir, ils ne fuguèrent pas. Ils devaient faire la punition que leur avait assigné la réceptionniste.

- Je ne vois pas pourquoi on devrait lui obéir, râlait le jeune ami du Docteur. Ce n'est qu'une réceptionniste, elle n'est qu'une employée ici !

Le Docteur, absorbé par la composition de son Gallifreyen circulaire, ne répondit pas. Il s'agissait de cercles enchevêtrés, parfois barrés de traits droits ou agrémentés de points à des endroits significatifs. La phrase tenait en un grand cercle, et chaque mot était lui même un cercle composé de cercles plus petits qui représentaient des syllabes. Plus un mot était long, plus son cercle était compliqué, et plus une phrase était longue, plus il était difficile de faire tenir tous les mots à l'intérieur du grand cercle. Le Docteur ajouta un point sur un demi-cercle, changeant un « sha » en « ra » , et finit par dire :

- Si nous ne le faisons pas, nous aurons des ennuis. Et les ennuis attirent les ennuis. Une fois qu'on a des ennuis, on ne peut plus les arrêter ; c'est comme ce jeu de dominos où toutes les pièces tombent les unes après les autres.

- Humpf, grogna le petit en raturant une ligne mal placée qui donnait un sens tout autre à son mot.

Ils écrivirent un moment en silence.

- Comment tu as fait pour ramener le sonique du Professeur ? Finit par demander le jeune garçon.

- Je t'avais dit que je le lui rendrais un jour où l'autre. Le temps est relatif, répondit le Docteur évasivement.

Son jeune ami haussa un sourcil. L'explication ne lui convenait pas. Cependant, il savait qu'il n'en obtiendrait pas d'autre.

- On n'a plus de sonique, du coup, regretta-t il.

- Chut, lui intima le Docteur.

Trois personnes venaient d'entrer dans la salle d'étude baignée par la lumière rouge orangée du soir. Il s'agissait du groupe restreint des garçons les plus âgés de leur classe. Deux d'entre eux s'assirent à l'autre bout de la grande table de travail gravée de devises Gallifreyennes (le Gallifreyen était une langue très décorative une fois écrite). Le troisième se dirigea vers la baie vitrée et contempla la vue sur la cité bourdonnante d'activité en contrebas, sur les étendues désertiques et les champs au loin. Les soleils allaient bientôt se coucher derrière une montagne, et c'était l'heure où les ombres étaient les plus longues de la journée. Sans parler du fait que bien entendu, chaque objet en avait deux.

Le Docteur reporta son attention sur son travail. Peu de temps plus tard, pourtant, le Seigneur du Temps à la fenêtre parla :

- Rassilon sait que tu es celui qui a volé le sonique.

C'était le garçon le plus âgé de la classe ; il était notoire qu'il irait bientôt rejoindre les rangs des Seigneurs du Temps plus expérimentés qui pilotaient les Machines à travers le Temps et l'Espace. Il avait déjà une place assignée au sein d'une équipe de six Seigneurs du Temps - ce qui était le nombre de personnes requis pour piloter une Machine correctement – dont Rassilon faisait partie.

- Rassilon sait beaucoup de choses, ajouta-t il devant le manque de réaction du Docteur.

Il se passa encore un instant, et le Docteur s'écria :

- Oh, pardon ! C'est à moi que tu t'adressais ? Je croyais que tu parlais à la vitre.

Le Seigneur du Temps plus âgé se retourna. Il avait moins d'expérience que le Professeur d'Histoire Relative pour cacher sa colère.

- Rassilon croit savoir des choses, mais il ne sait rien. Rassilon est un vantard vaniteux qui ne me fait pas peur, ajouta le Docteur avec un sourire aimable.

- Un jour, Rassilon sera Seigneur Président, et tu regretteras ces paroles, siffla son interlocuteur, excédé par le manque d'effet de ses menaces voilées.

- Rassilon est le seul Seigneur du Temps assez inconsciemment sûr de lui pour laisser n'importe qui connaître son nom. Le jour où il sera Seigneur Président, moi je serai en vadrouille avec des Terriennes.

- C'est tout ce que tu as trouvé ? C'est une idée totalement ridicule.

- Comme Rassilon, insista le Docteur.

Depuis un moment les deux autres Seigneurs du Temps lui lançaient des regards partagés entre la haine et l'admiration. Aucun d'eux n'aurait osé tenir tête à leur aîné.

- Nous nous reverrons, lâcha-t il.

Immédiatement, ses deux suiveurs rangèrent leurs affaires et le suivirent hors de la pièce. La grande porte aux motifs Gallifreyens magnifiquement stylisés (mais qui disaient, en gros, « Attention, ouverture rapide. Appuyez ici. ») se referma sur eux, et le regard du jeune ami du Docteur se perdit dans le paysage qui s'étendait au-delà de la Citadelle. Il respectait énormément le Docteur, et l'admirait pour son effronterie. Mais n'allait il pas trop loin en provoquant ouvertement les sbires d'une puissance montante telle que Rassilon ?

- Qu'est ce qu'il voulaient ? Demanda-t il finalement.

- Oh, ils voulaient probablement que je rejoigne leur petite troupe. Du genre, si tu soutiens et que tu apportes ton aide à la cause de Rassilon, personne ne te dénoncera. Rassilon a besoin de tous les Seigneurs du Temps qu'il pourra mettre de son côté s'il veut vraiment devenir Seigneur Président un jour. Mais encore une fois, ils n'ont pas de preuve contre moi.

- Pourquoi... Pourquoi as-tu choisi le nom de Docteur ?

- En fait, tu es le seul à qui je l'aie dit jusqu'à présent. Personne d'autre ne sait que je souhaite qu'on m'appelle ainsi. En plus, il faut d'abord que je gagne ce titre si je veux pouvoir le porter fièrement. Mais, oui, c'est dans mon idée que l'on me connaisse sous ce nom plus tard. Je veux sauver des vies, me rendre utile, tu comprends ? C'est ma vocation.

- Je vois, dit son jeune ami pensivement.

Il réfléchit encore un instant et demanda :

- Moi aussi je peux me choisir un nom ?

- Bien sûr, dit le Docteur en souriant. C'est important d'avoir un nom par lequel les gens peuvent t'appeler. Mais c'est aussi important que personne ne connaisse ton vrai nom, car nommer une entité, c'est avoir du pouvoir sur elle. Tout le monde le sait, j'insulte ton intelligence en te répétant ça, réfléchit-il tout haut.

- Alors je veux être... Le Propriétaire. A cause des champs que mon père possède à la Citadelle du Sud, tu sais ?

- Hum, je ne sais pas, dit le Docteur, son sourire ayant disparu. Tu peux encore en changer, tu sais...

- D'accord. J'y réfléchirai.

Puis le Docteur changea de sujet ostensiblement :

- Tu en es où de tes copies ?

- Encore 30, fit le Propriétaire avec une moue.

- J'en ai encore 32, soupira le Docteur.

Il se mirent au travail, chacun espérant finir avant l'autre.

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