Le bureau du Professeur était très fonctionnel. L'espace réduit avait été aménagé de façon à pouvoir accéder à tout en faisant le moins d'effort possible. Le Professeur s'assit à son bureau et considéra le garçon qui se tenait debout devant elle. Il avait l'air déterminé, mais semblait appréhender tout de même un peu le moment où elle prendrait la parole. C'était un garçon d'une taille moyenne pour son âge – onze ans d'après ce qu'elle avait compris. Son uniforme d'élève de l'Académie, rouge avec des bandes dorées autour du col et sur la taille, semblait trop grand pour lui. Ce qui était bizarre, car chaque élève avait en théorie un uniforme confectionné sur mesure. Elle hocha la tête pensivement en comprenant que cet enfant avait distendu son uniforme en faisant de grands gestes – en courant, probablement. Il avait des cheveux blond pâle qu'il portait rabattus en arrière ; les pointes les plus longues formaient des boucles entre son col large et son cou. Le Professeur se rendit soudain compte qu'elle aussi était observée. Les yeux d'un bleu sombre du garçon la fixaient avec un air de bravade. Elle lui fit signe de prendre place dans le fauteuil usé en face d'elle. Le garçon s'assit lentement.
- Je suppose que tu sais pourquoi tu es ici, commença-t elle.
Deux réponses très différentes s'imposèrent à eux. Soit le garçon répondait qu'il était là par ce qu'il avait fait preuve d'un esprit de subversion à l'égard des institutions Gallifreyennes, ce qui était la raison première de la convocation du Professeur et passible d'une lourde punition, soit il essayait de porter la conversation sur un plan métaphysique, ce qui n'était pas la réponse attendue et lui ferait prendre une fois de plus le chemin de l'insolence. Ils étaient tous deux très conscients de ces réponses et de leurs implications, et savaient que l'autre l'était également, mais le Docteur finit par répondre par une question :
- Est ce que les simulateurs montrent la réalité ?
- Oui, répondit simplement le Professeur.
Ils demeurèrent un moment en silence.
- Les Seigneurs du Temps ont une croissance particulière, dit finalement le Professeur, comme si elle réfléchissait à voix haute. Jusqu'à l'âge de seize ans environ, nous connaissons une croissance très rapide. Puis nous atteignons l'âge adulte, et notre vieillissement se ralentit. Nous pouvons vivre des centaines d'années dans une incarnation, et notre aspect physique change alors à un rythme environ trente fois inférieur à celui de notre prime jeunesse. Et finalement, lorsque nous sommes en danger de mort, nous nous régénérons. Et le nouvel aspect que nous aurons pris n'aura aucun rapport avec notre âge réel. Ce qui signifie que nous perdons presque la trace du Temps – et pourtant, au fond de nous, nos connaissances, notre personnalité profonde restent ancrés toute notre vie. Nous ne pouvons pas perdre totalement la trace du Temps, car nous sommes les Seigneurs du Temps. Nos expériences, bonnes et mauvaises, laissent des cicatrices dans nos âmes, laquelle nous ne pouvons pas régénérer. Notre âme, mon âme, est vieille.
Elle inspecta le visage interdit du garçon en face d'elle, et reprit :
- C'est durant les années de croissance rapide que nos connaissances et tous les fondements de ce que nous sommes profondément, tout ce qu'aucune régénération ne pourra jamais effacer, s'inscrit dans notre âme. C'est pourquoi vous avez été séparé si tôt de vos parents, et c'est pourquoi vous êtes ici aujourd'hui, finit-elle par dire.
C'était une troisième voie de réponse que le Docteur n'avait pas envisagée. Le Professeur s'en rendit compte et poursuivit, un fin sourire aux lèvres :
- Vous êtes, mon cher élève, au milieu de cette phase de formation, pourrait-on dire. Différentes voies s'offrent à vous. Serez vous le parfait pilote de Machine, comme ce brave garçon que j'ai testé tout à l'heure, le parfait petit soldat de Gallifrey respecté de tous, ou serez vous un rebelle, rejeté par la société, un esprit libre aux grands idéaux qui ne laissera rien se mettre en travers de sa route ? Je ne sais que vous souhaiter. Tout ce que je sais, c'est que le système est fait de telle sorte que nous formons beaucoup plus de personnes de la première catégorie. Il s'agit de la seule sorte acceptable, en fait.
Elle laissa la phrase en suspens entre eux deux, attendant que son interlocuteur l'attrape.
- Je sais que vous parlez beaucoup de moi entre Professeurs, dit le garçon à contrecœur.
- C'est vrai, admit-elle.
- Pourquoi ?
Elle eut l'air de vouloir répondre quelque chose, mais le Docteur l'arrêta tout de suite :
- Ne me dites pas que mon cas est paradoxal à cause de mes bonnes notes mais de mon esprit libre. C'est ce qu'on me dit toujours. Personnellement, je ne vois aucun paradoxe là-dedans. Et je sais que vous non plus. Dites moi plutôt la vérité.
Elle se renversa dans son siège. Elle n'arrivait pas à croire que ce petit venait de la réduire à lui donner ce qu'il voulait. Mais reculer maintenant voudrait dire qu'elle perdrait sa confiance à jamais. Elle tenait à cet élève. Il lui rappelait ce qu'elle avait été, elle aussi, il y a bien longtemps, quand elle étudiait à l'Académie. Toutes ces années de voyages et d'aventures au service de Gallifrey, qu'avaient-elles fait de cette petite fille ? Avait-elle tant changé ? Elle prit une grande inspiration et dit :
- Il se peut... Il se pourrait qu'une prophétie ait été délivrée.
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Gallifrey
Science FictionGAGNANT DES WATTYS 2019 - FANFICTION Gallifrey - notre enfance, notre foyer... Il y a très, très longtemps, quelque part dans la galaxie de Kasterborus. Deux enfants courent dans un champ. Les feuilles argentées des arbres scintillent dans la brise...