Gallifrey

Chapitre 9

Le petit garçon attendit longtemps dans la salle commune. Il reprit plusieurs fois des verres d'eau. Mais son aîné ne vint pas. Le choc de la scène du simulateur fit place à une inquiétude bien réelle lorsqu'il ne vit pas son ami de l'après-midi. Puis il dût aller à son cours de physique quantique, réservé aux plus petits d'entre les élèves. Il vit pas le Docteur dans la soirée non plus. Il s'endormit difficilement.

Le Docteur fit son apparition au petit-déjeuner le lendemain matin. Il avait l'air maussade mais déterminé. Il prit un pichet d'eau et un pain plat décoré avec du Gallifreyen circulaire, comme tant d'autres choses à la Citadelle. Le réfectoire était une grande salle ronde avec un certain nombre de tables ovales organisées selon un schéma compliqué. L'un des murs était une baie vitrée. Il regarda autour de lui ; peu d'élèves étaient déjà en train de manger à cette heure matinale. Il trouva son ami attablé seul un peu plus loin, qui émiettait son propre pain plat. Le Docteur s'approcha et se força à dire d'un air enjoué :

- Bonjour, Propriétaire ! Bien dormi ?

Son ami le regarda, peiné.

- Tu n'es pas revenu, hier. Où est-ce que tu étais ?

- Oh. Euh, en retenue, mentit le Docteur.

Le petit hocha la tête. Une retenue aussi longue n'était pas rare. Il appréciait qu'on lui mente de façon crédible.

Le Docteur s'assit en face de lui, et ouvrit son pain en deux, détruisant l'inscription artistique qui disait « pain, pain, pain ».

- Comment tu appréhendes ta cérémonie du Schisme Irascible ? demanda-t il pour changer de sujet.

Le petit s'anima.

- Je voulais t'en parler, justement. Je vais être honnête avec toi. J'ai peur. Comment ça s'est passé pour toi ?

- On ne peut pas vraiment être prêt, admit le Docteur. Regarder le Vortex Temporel droit dans les yeux, si j'ose dire... Percevoir le Temps et l'Espace, tout ce qui est, ce qui a été, ce qui sera et ce qui pourrait être. Certains s'enfuient, d'autres perdent la raison...

Il baissa les yeux sur son pain plat.

- Je me suis enfui.

- Qu'ont dit les Professeurs ?

- C'était une réaction normale. Ils ont terminé la cérémonie sans moi.

- Je pense que je vais faire la même chose, dit le petit garçon en tournant la tête.

Il contempla le paysage Gallifreyen qui s'étendait au-delà de la baie vitrée du réfectoire. On y voyait surtout des montagnes et on devinait quelques forêts argentées. Les soleils n'étaient pas encore levés.

- C'est mieux que de perdre la raison, remarqua sombrement le Docteur.

Il mâcha en silence son pain tout en suivant du doigt les inscriptions de la table. « Il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger », disait ce qui ressemblait à s'y méprendre à un mécanisme d'horlogerie.

Soudain, les soleils se levèrent.

Une lumière orangée se déversa dans la salle du réfectoire ; dehors, les montagnes semblèrent s'illuminer ; le sable des plaines eut l'air de luire de l'intérieur, et les feuilles argentées des forêts au loin donnèrent l'impression de s'embraser lorsqu'elles purent enfin refléter les premiers rayons du matin. Le paysage entier chantait un air, l'âme de la planète, son essence.

Lorsque le petit garçon s'arracha à sa contemplation, et reporta son attention sur son ami en face de lui, il vit que celui-ci était au bord des larmes.

- Docteur ? Demanda-t il doucement.

- Ce n'est rien, dit il. C'est juste...

Il fit un esquissa un geste vers le paysage dehors.

- C'est tellement beau.