Chapitre 10

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Dans les jours qui suivirent, celui qui voulait s'appeler « le Propriétaire » trouva son aîné bien peu bavard.

- Il s'est passé quelque chose avec le Professeur des Machines, chuchota-t il lors d'une cérémonie hebdomadaire à laquelle tous les étudiants et professeurs de l'Académie étaient censés participer.

Les deux jeunes Seigneurs du Temps regardèrent les adultes défiler dans leurs lourds costumes rouge et or au son d'une musique assonante mais pompeuse qui semblait sortir de partout à la fois.

- Qu'est ce qui s'est passé ? Insista-t il. Tu peux tout me dire.

- Je ne peux pas, répondit le Docteur après qu'ils eurent chanté les mots comme on l'attendait d'eux.

- Dis moi au moins pourquoi.

- Je n'en ai pas le droit.

Le petit garçon sentait la colère montait en lui, mais il s'efforça de ne pas le laisser paraître.

- Ne pas avoir le droit de faire quelque chose ne t'en a jamais empêché. Je croyais que j'étais ton ami, dit-il doucement.

Un Seigneur du Temps s'adressa à la foule en Gallifreyen ancien.

- J'aime le Gallifreyen, déclara le Docteur. Les sons sont ronds, on dirait que nous faisons des bulles avec la bouche. Les intonations sont chantantes, expressives. Et de temps en temps, un son inhabituel vient bousculer toute une phrase. Notre écriture est très représentative de tout ça, je pense. Même si elle est un peu compliquée à former, en particulier le circulaire, notre écriture en vaut la peine. Aucune langue que nous étudions à l'Académie n'est aussi belle.

Le petit garçon fit une moue d'incompréhension. Dans ce cas, lui non plus ne se gênerait pas pour changer de sujet brusquement. Alors qu'ils commençaient à se déplacer en procession derrière leurs camarades, il dit :

- Demain, c'est ma cérémonie du Schisme.

- Oui ? Fit le Docteur pour montrer qu'il écoutait, même s'il lui tournait le dos.

- Je voudrais te voir avant. Juste avant.

Il chercha ses mots, sentant qu'il devait avoir l'air stupide ou sentimental, ou les deux.

- Je voudrais... Te dire au revoir, en quelque sorte. Je sais que c'est une cérémonie qui change les gens. Je voudrais te voir une dernière fois avant... Tu vois ?

Le Docteur fit quelques pas, et tourna légèrement la tête pour lui répondre :

- Bien sûr.


Le Docteur n'avait pas revu le Professeur des Machines depuis leur entrevue. Et pourtant, il avait tenté de la contacter, il avait essayé de frapper à la porte de son bureau. Le Professeur de Cosmologie, qui passait par là, lui avait alors dit qu'elle avait probablement un autre bureau du côté des filles de l'Académie, et qu'elle devait être occupée là-bas. Le Docteur n'avait pas le droit d'aller là-bas, mais comme l'avait souligné son jeune camarade, ce n'était pas le genre de chose qui l'arrêtait. Comme il ne la vit pas non plus la journée suivante, il décida d'aller au rendez-vous d'adieu du Propriétaire et de s'éclipser ensuite.

Il faisait déjà nuit quand il retrouva son jeune ami dans une salle d'étude vide. Celui-ci portait déjà les costume noir de la cérémonie du Schisme.

- Bonsoir, dit-il en entrant.

- Bonsoir, dit sombrement le garçon qui venait d'avoir huit ans, assis sur un siège.

- Bon anniversaire, souhaita le Docteur dans un vain effort pour alléger l'atmosphère.

- Tu parles, répondit le petit garçon.

- Quand est-ce que tu y vas ?

- Dans dix minutes.

La lumière de la pièce était éteinte dans un souci de discrétion. Ils n'étaient pas censés pouvoir se parler avant la cérémonie. Pourtant, une faible clarté provenait des étoiles, qui les éclairait assez pour se voir. Le petit garçon prit une grande inspiration et déclara :

- Docteur... Quoi qu'il m'arrive ce soir... Je veux que tu saches que tu as été mon meilleur ami. Mon seul ami depuis que j'ai quitté la Maison de mon père. Et encore, là-bas je n'étais ami qu'avec les animaux domestiques.

Il laissa échapper un rire amer, et reprit :

- J'admire ton caractère, ton esprit. Je souhaite devenir comme toi après ma cérémonie ce soir. Je sais que je ne pourrai avoir aucune idée de ce que cela peut être avant de l'avoir vu, mais je sais que ce Schisme va changer ma vie. Je ne serai plus jamais le même après ça.

Le Docteur bougea un peu, mal à l'aise.

- Ne parle pas comme ça, on dirait que tu vas te régénérer, plaisanta-t il.

- Je suis sérieux, se défendit le petit. Et oui, c'est presque ça. Si je t'ai fait venir, c'est pour te dire adieu.

Le Docteur se passa une main sur le bas du visage.

- Puisque tu le prends comme ça... Adieu, dit-il. Je n'oublierai pas ce cher camarade avec qui j'ai passé tant de moments privilégiés. Toi aussi, tu es mon meilleur ami. J'espère que le changement de ce soir sera un apport à ta vie. J'espère que nous partagerons encore de nombreux moments après cette nuit. Je suis sérieux, moi aussi, ajouta-t il en voyant l'expression dubitative sur le visage de son ami. Allez, viens.

Il le serra dans ses bras et lui dit : « Au revoir. »

Puis le petit se dégagea et sortit, essuyant des larmes avec sa manche de tunique noire.

Le Docteur lança un regard accusateur au paysage baigné par la lumière blanche des étoiles, et sortit également. Ce soir, il s'infiltrerait chez les filles.

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