Chapitre I pt. 1

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           1er mars 2019
Paris, France.
           16h27.

           Une douce rumeur s'échappait du bar d'un quartier aisé de Paris. L'endroit était chaleureux. La décoration, un savant mélange de modernité et de classique, associait des meubles minimalistes à des lustres imposants. Il y avait en tout une vingtaine de clients, dont un drôle de groupe composé de six personnes. Deux femmes, quatre hommes, qui avaient déjà consommé plusieurs verres chacun. Ils parlaient fort et attiraient les regards irrités des chics clients du lieu.

— Ce soir, j'me mets minable, hurla un des hommes en se levant, hissant son verre qui éclaboussa un de ses amis.

           De nombreux rires s'élevèrent autour de lui. Il était, de toute évidence, le pilier de ce groupe. Tous les regards se concentraient sur son visage au sourire éclatant et ils étaient deux autour de lui à le dévorer du regard.

— Eh, Pepito, tu n'as pas de fête prévue... par contre, t'as déjà trois bières dans le nez, remarqua un petit blond très propre sur lui qui semblait n'avoir rien à faire ici.

— Eh, tu sais quoi ? J'm'en fous ! répondit le susnommé en prenant un air insolent. Je te parie que je trouve une fête d'enfer, dans ce bar, en moins de cinq minutes.

           Un homme immense et costaud aux cheveux d'un noir de jais et à l'air détaché du groupe leva la tête. Un sourire en coin vint étirer ses lèvres.

— Cinquante euros, je ne prends aucun risque. C'est un bar de coincés, ici. Une fête, peut-être, et encore. Une fête d'enfer, jamais de la vie.

           Les yeux du défié s'illuminèrent. Du défi. De nouvelles expériences. Dieu qu'il aimait ça... il se leva, scrutant le bar d'un œil sûr. Il était loin d'être complètement ivre et était sans aucun doute proche de son état normal. Il était de ce genre d'énergumène incompréhensible qui trouvait un certain plaisir à faire n'importe quoi de sa vie. Il venait d'une bonne famille bourgeoise et catholique, était un professeur d'histoire correct. Pourtant, dès que la nuit tombait, il vrillait. C'était un artiste, dans le fond. Il cherchait l'inspiration partout, tout le temps, mais l'obscure clarté d'une ville endormie était selon lui si belle qu'il était prêt à parier tout ce qu'il avait pour affirmer qu'une fête où l'on buvait à outrance l'inspirerait éternellement.
           Il aperçut finalement un duo de jeunes femmes qui semblaient avoir approximativement son âge, vingt-sept ans. Il y avait une rousse aux cheveux magnifiquement coiffés, aux airs d'Emma Stone. Ses petits yeux noisettes pétillaient de joie et ses fossettes auraient fait craquer n'importe qui. Son attitude aussi avait de quoi plaire : elle semblait active, tout en gardant beaucoup d'élégance dans ses gestes très fins. Elle semblait particulièrement enthousiaste et montrait son téléphone à son amie, une blonde élégante à l'air glacial. Le visage savamment maquillé de cette dernière exprimait une immense lassitude, et ses iris d'un bleu azurin étaient vides de toute émotion positive. Elle intrigua immédiatement Augustín, d'autant plus qu'elle portait une paire de ces célèbres escarpins aux semelles rouges ainsi une parure scintillante, qui coûtait certainement un SMIC. Le beau brun approcha les femmes sans hésitation, en roulant des mécaniques.

— Moi, c'est Augustín Pablo Pepito Dalgalarrondo-Inchauspé au service de mesdames, annonça-il en s'asseyant face à elles et en leur offrant un petit sourire en coin qu'il savait ravageur.

           La rousse le regarda, haussant un sourcil surpris, puis eut un sourire enchanté, comme si elle attendait Augustín depuis des jours. La blonde, elle, leva les yeux au ciel et fit une moue en le regardant rapidement. Il était grand, athlétique, avait des cheveux bruns en bataille. Son visage était parsemé de délicates taches de rousseurs. Ses yeux foncés exprimaient une grande joie de vivre mêlée à un soupçon de séduction et ses joues devaient être particulièrement musclées à force d'afficher un immense sourire. Sa mâchoire carrée, quant à elle, devait en faire craquer beaucoup.

— Loïcia, regarde-le... il est pas mal, non ? Il ne ferait pas tâche dans le décor, je pense.

— Il est ridicule, oui, répliqua l'interrogée, en lançant un regard méprisant au beau brun.

           Celui-ci fut quelque peu surpris par la réaction de la rouquine, qui le jaugeait maintenant comme un objet dont on estimait la valeur. Ça ne le dérangeait pas, mais en principe, on ne l'ignorait pas. Il ne laissa pourtant rien paraître de son étonnement.

— Melody... si tu avais écouté au lieu de juste mater, tu aurais entendu qu'il veut se mettre minable... c'est hors de question. Je ne veux pas de ça chez moi.

           Augustín avait beau être ridiculisé, réduit à l'état de « mec sexy », il adorait ça, parce qu'il ne voyait qu'une chose dans tout ça : ces femmes l'avaient remarqué. Elles l'avaient maté, écouté. C'était délicieux pour son ego. Son énorme ego, qui se nourrissait de paroles détournées, amplifiées dans le but de lui convenir.

— Si je peux avoir l'occasion de faire la fête avec une femme aussi charmante que vous, je suis prêt à tous les compromis, renchérit-il en adressant à Loïcia un clin d'œil.

— Il sera inutile de faire des compromis, puisque la réponse est toujours non, j'ai suffisamment d'invités. Je n'aurais pas assez de place, si je rallonge la liste à la moindre occasion.

           Melody lança un regard à Loïcia en soupirant. Son amie mentait. Les rares fêtes qu'elle organisait étaient à comité réduit et son immense appartement aurait pu accueillir une vingtaine de personnes de plus sans que personne ne se marche dessus.

— Maintenant, si vous voulez bien m'excuser... à tout à l'heure, Melody. N'oublie pas ce que je t'ai dit.

           Loïcia se leva, adressant un sourire crispé à Augustín, ainsi qu'un signe de main à son amie, avant d'aller régler ses consommations. Melody la regarda s'éloigner et secoua la tête.

— Excuse-la, elle n'est pas très... ouverte à la nouveauté, dit-elle en regardant son interlocuteur avec attention. Elle prit quelques secondes de réflexion, puis ajouta, enthousiaste : on a le droit de venir accompagné... si tu y tiens vraiment, tu peux venir avec moi. Mais ne t'attends pas à quoi que ce soit d'exceptionnel. Elle ne finira pas dans un lit avec toi et au moindre dérapage, elle te virera.

— Je suis prêt à prendre le risque de m'ennuyer, déclara Augustín, sûr de lui.

— Ce ne sera pas du tout ce que tu peux qualifier de « fête d'enfer », sois-en bien conscient.

— Je t'appréciais bien, jusqu'à ce que tu t'appuies sur une idée reçue pour définir ma vision d'une soirée qui cartonne.

           La rousse haussa un sourcil, avala la dernière gorgée de son verre.

— À ses fêtes, il y a du champagne, des riches entre trente et cinquante ans, son père, des petits toasts au caviar et du jazz en fond.

— Son père... fit-il avec une mine dégoûtée.

— Tu vois, je te l'avais dit.

— Je suppose que je peux faire confiance à ton bon goût, tu ne m'inviterais pas à une fête vraiment nulle, donc je viens !

— C'est ma meilleure amie, je ne suis pas objective.

— Tu aimes vraiment ses fêtes ?

— Disons que j'ai l'obligation officieuse d'y faire acte de présence.

— Tu vois, tu es objective en admettant qu'elles sont à chier. J'aime ta franchise.

— Toi, tu sais y faire avec les femmes... ironisa-t-elle.

— On me le dit souvent.

— Je vois, dit-elle en haussant un sourcil.

— Je te paie un verre ?

— Je préfère connaître un minimum mon cavalier... Je vais prendre une bière.

— Je préfère connaître les belles femmes en général, dit-il avec un sourire en se levant pour aller commander les boissons.

La jolie rousse soupira, mais au fond, elle appréciait déjà bien cet homme là.

Tous les chemins mènent à toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant