Chapitre V

88 18 90
                                    

L'aéroport d'Orly grouillait de monde. C'était bruyant, sale. Elizabeth détestait les aéroports. Après un voyage en première classe, le retour à la réalité bas-budget était difficile. Les gens puaient. Les enfants hurlaient. Certaines personnes semblaient complètement ébahies. L'avion était peut-être une première pour eux. C'était d'un ridicule... La jeune femme attendait ses bagages, et poussait des soupirs à fendre l'âme, ce qui lui attirait les regards de voyageurs irrités. Elle se tenait droite, les bras croisés. Ses cheveux rouge flamboyant étonnamment bien coiffés se démarquaient des coiffures anéanties des autres clients encore endormis. Ses yeux étaient comme deux billes d'encre noire, plantées dans un visage doux et parfaitement maquillé, qui scrutait la foule avec impatience. Ah... enfin, elle apercevait ses valises. Heureusement, le motif caractéristique de ses produits Louis Vuitton se démarquait bien des bagages blanc sale ou rouge Décathlon.

*
* *

Dix-sept heures, et enfin, la sonnerie. La classe de cinquième à laquelle Augustín était censé enseigner l'Histoire était incroyablement molle, si tard dans la journée. Pourtant, dès qu'ils s'agissait de se ruer vers la sortie, il y avait plus de motivation... Il les regarda s'éloigner en rangeant ses affaires, un léger sourire aux lèvres. Adolescent, il avait été pire encore. Et il ne regrettait rien. Même en étant professeur, il se disait qu'il avait été un jeune homme sympa. Ses enseignants de l'époque l'appréciaient forcément. En sortant, il adressa un clin d'œil à son collègue d'anglais de la salle d'à côté, avec qui il avait récemment couché. Il rougit jusqu'aux oreilles, en détournant le regard. Gus était persuadé qu'il était amoureux. Cette idée farfelue le faisait bien rire.
Après un trop long moment dans les bouchons, Augustín arriva chez lui. Il vivait dans un appartement cossu du seizième arrondissement. Évidemment, ses parents y étaient pour beaucoup dans cette possession. C'était un appartement qui lui était réservé depuis son plus jeune âge, et il en était très satisfait. C'était grand, lumineux, les toilettes étaient séparés de la salle de bain et l'isolation assez bonne pour ne pas déranger ses vieux voisins quand il ramenait des conquêtes chez lui.
Sur le pas de sa porte, une femme l'attendait. Elle avait une valise et quelques sacs, et semblait attendre depuis des heures.

— Ah, Augustín. Il n'est pas trop tôt, tu sais depuis combien de temps je patiente ?

— Bonjour, Elizabeth. Je vais bien merci, c'est gentil de demander. Entre, je t'en prie, rétorque-t-il en pénétrant dans son appartement.

Elle lui lança un regard assassin en le suivant. Elle observa quelques secondes l'endroit. L'habitation était trop désordonnée aux yeux de Betty : dans le salon, des partitions jonchaient le canapé et la table basse. Une couverture trainait à moitié par terre, et il y avait une paire de baskets près de la télévision.

— Ça fait dix minutes que je t'attends, pour... ça ?

— Tu peux ranger, si ça te fait plaisir. Moi, j'aime plutôt bien l'endroit. Il m'inspire.

— Tu m'étonnes que tu chantes n'importe quoi, avec une inspiration pareille...

Gus haussa un sourcil, et perdit son éternel sourire.

— Je ne t'ai pas demandé ton avis, s'énerva-t-il. Je te rappelle que tu vas squatter ici pendant une semaine sous prétexte que ton voisin est chiant. Tu pourrais au moins avoir l'obligeance de ne pas faire de commentaires.

Elizabeth l'ignora royalement, préférant étudier avec attention un bibelot sur une étagère. Augustín soupira, et rassembla ses partitions, qu'il cacha dans sa chambre. En revenant, Elizabeth avait pris ses aises et se préparait un café.

— Tu as passé un bon voyage ?

— Très agréable. Les hôtesses étaient très serviables, et le siège confortable. Dieu merci il n'y avait pas d'enfant...

— Et tu reviens d'où, exactement ?

— Barcelone. Après quelques mois à Buenos Aires, je suis retournée en Espagne pour Mamie Maggie, et Josépha.

— Elles vont bien ?

— Je ne sais pas comment mamie fait pour être aussi énergique... c'est assez incroyable. Josépha a du mal à suivre avec vingt-cinq de moins !

Augustín éclata de rire. Leur grand-mère avait toujours débordé d'énergie, n'hésitant jamais à garder ses onze petits-enfants pendant deux semaines, parfois trois. Tous s'amusaient énormément, et ils gardaient des souvenirs impérissables de ces instants précieux.

— D'ailleurs, tu manques beaucoup, à Barcelone... ça fait quand même six mois que tu n'y es pas allé.

— Je sais, je sais... Mon absence doit être dure à supporter. Qu'ils ne s'en fassent pas, je compte y passer mon mois de juillet, mais je voudrais faire une surprise.

Considérant que la discussion devenait trop centrée sur son cousin, Betty entreprit de raconter son année à voyager. Une lueur brillait dans le regard de la jeune femme lorsqu'elle racontait toutes les choses qu'elle avait visitées. Vers minuit, elle décida d'aller se coucher, laissant Gus s'adonner à l'écriture de ses « maudits bruits », comme elle aimait les appeler. Ce soir-là, quand il décida d'entamer une nouvelle chanson, son inspiration venait d'un regard glacial et d'une plaie au ventre.

Tous les chemins mènent à toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant