Dire qu'Augustín l'avait déboussolée était un euphémisme. Il avait remis en question toutes ses certitudes sur un sujet qu'elle s'évertuait à ignorer depuis plusieurs années : l'amour. Alors qu'elle avait toujours trouvé cela niais et futile, il lui faisait ressentir des choses, c'était indéniable. Jamais elle n'avait senti son cœur battre de cette manière. Cela faisait plus de dix ans qu'elle n'acceptait pas la proximité physique, alors les quelques secondes intenses qu'elle avait passé tout contre lui sans ressentir le besoin de s'éloigner représentaient énormément. Une semaine plus tard, cette soirée tournait encore en boucle dans son esprit. Elle n'arrivait pas à s'ôter de l'esprit l'envie qui l'avait saisie quand elle avait amorcé un geste pour s'éloigner... Elle avait voulu, pendant une fraction de seconde, embrasser Augustín. Elle s'était, par la suite, convaincue qu'elle avait du cet instant de folie à la fatigue ou l'ambiance, mais elle avait du mal à se convaincre elle-même.
Alors, comme elle avait l'habitude de le faire, elle s'enfermait dans le travail... Une nouvelle collection, une collaboration, elle avait beaucoup de choses à faire alors elle se complaisait dans sa montagne de labeur.
Cependant, il arriva un moment où cela lui sembla trop. Elle n'était pas sortie depuis près d'une semaine quand, après un repas, elle n'avait pas eu envie de retourner travailler. Ce qu'elle faisait continuellement lui apparaissait soudainement trop surfait, trop vain. En voyant son bureau, immense et froid, elle avait soupiré de lassitude. Non, plus de travail. On était dimanche, le soleil printanier dardait ses rayons au cœur de la ville lumière et, plus que jamais, elle ressentait l'envie de sortir. Pourquoi ?
Elle essaya de joindre Melody, mais celle-ci déclina l'invitation, sous prétexte d'occupation plus importante. Son père travaillait, Betty était immédiatement repartie en voyage après son anniversaire. Joe, quant à lui, avait prévu de voir ses filles.
— J'avais oublié... Tu crois que je pourrais...
— Non. Si ton père l'apprend, c'est moi qui en prends pour mon grade.
— On dirait que je suis une enfant, c'est irritant.
Joe avait haussé les épaules.
— Tu n'es peut-être plus une enfant pour ton père, mais tu restes la personne la plus chère à son cœur...
Loïcia balaya la réflexion d'un geste de la main.
— La personne la plus chère à son cœur n'est...
Elle se stoppa dans son discours et se racla la gorge. Son visage s'était crispé. Soudainement, un aspect sombre de cette situation lui paraissait clair : si Claude insistait à ce point sur la protection de Loïcia, c'était pour éviter de la perdre, elle aussi. Elle frissonna de peur à cette idée.
— Bref, ce que je veux dire, c'est que je veux sortir, alors ce n'est pas mon père qui va m'en empêcher parce qu'il n'a pas su la protéger.
Elle regretta immédiatement ce qu'elle avait dit, mais serra les poings pour ne pas flancher face à Joe. Elle lança un regard plein de défi à son vis-à-vis avant de tourner les talons. Elle attrapa son manteau. Sans qu'elle ne s'en rende compte, elle était dehors et un courant d'air frisquet lui fouetta le visage. Elle se mit à marcher, avant de se rendre compte qu'elle n'avait ni but, ni compagnie. Posée sur un banc, elle éplucha ses contacts téléphoniques et se rendit rapidement compte qu'elle n'avait personne qui pourrait accepter de passer avec elle une après-midi à flâner, sans avoir été prévenu plusieurs jours à l'avance. Elle soupira. Une dernière option s'offrait à elle : Augustín.
Elle hésita longuement. L'idée de passer une après-midi avec lui, seul à seule, l'enchantait et c'était en cela que résidait le problème. Elle n'avait plus aucune idée des sentiments qu'il lui inspirait. Ce flou dans laquelle il la plongeait était plaisant dans l'instant, mais elle se demandait après si tout cela n'était pas qu'une mascarade. Son doigt survolait le petit bouton vert d'appel pendant qu'elle laissait se jouer en elle un débat qui, elle le savait, était fondamentalement dû à des peurs irrationnelles. Elle porta finalement son téléphone à son oreille. Son cœur s'était emballé.
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Tous les chemins mènent à toi
Romansa« Loïcia est une millionnaire trentenaire, renfermée et imperméable aux émotions. Augustín, lui, est un homme fasciné par la nature humaine et le monde de la nuit. Alors, forcément, il ne pouvait pas passer à côté du mystère de cette femme aux yeux...