Chapitre VIII

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Augustín Dalgalarrondo-Inchauspé                  5:43

Loïcia, tu connais le coup de foudre ? C'est ce que j'ai ressenti pour toi. Je t'aime. Tu es divinement belle, et incroyablement gentille et généreuse... je te propose que l'on déjeune ensemble, si tu le veux bien.

POISSON D'AVRIL! J'espère pour toi que tu riras, aujourd'hui... Pour une fois !

D'ordinaire, c'était la sonnerie de son réveil qui réveillait Loïcia, à six heures et trente minutes. Elle n'aimait pas être réveillée par autre chose, et encore moins plus tôt. Alors, quand elle fut surprise dans son sommeil par un message d'Augustín, la qualité de sa journée en prit un coup. Surtout alors que ledit message était un poisson d'avril ridicule, qui se moquait du sérieux constant de Loïcia. Agacée, elle répliqua :

Ah, ah. Très drôle.

La réponse ne se fit pas attendre. Décidément, il semblait n'avoir que ce genre de choses à faire de sa pauvre vie.

Je sais, merci merci ! C'était une blague, mais tu sais, l'invitation était réelle.

Désolée, j'ai déjà organisé quelque chose pour ce midi.

Ah... je vois. À toute, alors ! Toujours un plaisir de parler avec toi, très chère !

Elle soupira en lisant ce dernier message. Il était réellement incompréhensible. C'était un cauchemar de converser avec lui pour la jeune femme, qui appréciait l'ordre, la clarté et la logique. En cinq petites minutes, cette discussion ridicule était bouclée, et désormais, elle se retrouvait allongée dans son lit, dans le noir, sans que la motivation ne pointe le bout de son nez. Elle était prête à se rendormir quand du bruit parvint à ses oreilles. Cela venait de la cuisine. Elle se figea, se redressa doucement. Elle s'extirpa de son lit, et descendit les escaliers le plus doucement possible. Elle s'était armée d'un escarpin qui traînait dans le passage.
Arrivée au bas des escaliers, elle ne s'attendait pas à voir dans sa cuisine un homme en pyjama aux motifs créés par ses filles, de toute évidence. Elle crut halluciner, et soupira de soulagement. Quelle idiote elle faisait... Joe se retourna, et elle cacha la chaussure dans son dos.

— Bonjour, Loïcia ! déclama joyeusement l'homme.

Elle lui offrit un sourire bancal.

— Bonjour, Joe. Bien dormi ?

— Pas assez, mais j'ai profité de ce gain de temps pour vous préparer le petit déjeuner. Je ne pouvais pas vous laisser seule, du coup j'ai fait avec ce que j'avais. Au menu, café bien chaud et biscuits maison. J'ai fait comme j'ai pu ! Enfin... et vous, bien dormi ?

— Oui, répondit-elle vaguement.

En vérité, elle n'avait pas dormi avant deux heures trente du matin, et quelques cauchemars avaient agité sa nuit. Mais peu importait, elle saurait faire face à la fatigue, ce n'était pas la première fois. Elle fit un détour par l'entrée pour déposer sa chaussure, et revint s'asseoir devant l'assiette qui était posée sur la table.

— Joe, vous ne mangez pas ?

Il secoua la tête négativement.

— Non, j'avais tout juste assez d'ingrédients pour une part. Mais ne vous inquiétez pas, je n'ai pas l'habitude de manger le matin.

Elle le regarda quelques secondes, et haussa les épaules. Elle n'allait pas le forcer. C'était un adulte, et puis il était déjà costaud. Elle mangea donc ses biscuits, qui se révélèrent absolument délicieux. En silence, elle débarrassa son couvert, et fila dans la salle de bains pour se préparer. Elle mit une petite demi-heure, et en revenant, Joe finissait d'essuyer la vaisselle qu'il avait nettoyée. Il fixait un point, dans le paysage des toits de Paris, et semblait particulièrement concentré.

— Vous avez fait la vaisselle à la main ? demanda Loïcia, étonnée.

— Oui, ça m'occupe. J'aime avoir des choses à faire, alors j'utilise rarement le lave-vaisselle.

— Je vois... d'accord. Et je viens d'y penser mais comment comptez vous me  protéger aujourd'hui ?

— On va y aller doucement... je suppose que vous ne me laisserez pas entrer avec vous tout de suite, alors je stationnerai dans un endroit où je peux voir l'entrée de votre lieu de travail. C'est minable, comme protection, mais il faut bien commencer quelque part...

— Mais vous allez vous ennuyer !

— Non, parce que votre vie repose sur mes épaules, et je dois la protéger.

Loïcia ne fit pas de remarque, mais elle se dit que son père avait bien retourné le cerveau de ce pauvre Joe.

— Au fait, à midi je mange au restaurant avec des amies. Vous pourrez nous y suivre, prenez ce que vous voulez, je vous rembourserai.

— Merci, Loïcia, dit-il en allant se préparer.

    *
    *      *

Vers midi, Loïcia sortit du travail pour aller manger. Elle semblait de meilleure humeur qu'au réveil. Joe se mit à la suivre discrètement, et entra dans le même restaurant qu'elle. Il s'installa dans un coin de la luxueuse salle, et l'observa quelques instants. Le restaurant était décoré dans un style chaleureux. Le rouge et le doré primaient, partout, sans que ça ne soit de trop. Loïcia avait beaucoup de goût, pensa-t-il. Il prit le temps de regarder les gens dans la salle. Il y avait plusieurs couples, des familles, quelques touristes. Tout était calme, il se mit donc à surveiller tranquillement. Rien ne semblait pouvoir virer au drame.

De son côté, Loïcia était agacée. Son rendez-vous entre amies prévu avec Melody et Elizabeth avait été gâché par la présence inopportune d'Augustín. Cela expliquait donc les messages du matin... Elle salua tout le monde, et commanda un verre. Elle fut étonnée de constater que l'espagnol avait dégainé son téléphone dès son l'arrivée. Il écrivait frénétiquement, en lui lançant des regards scrutateurs. Elle se sentait gênée, mais n'en laissait rien paraître. Le repas se déroula dans une bonne ambiance, bien que certaines choses soient bizarres : Augustín n'avait pas beaucoup parlé de lui, et l'attitude de Loïcia semblait exagérée.

*
* *

Une bouteille de bière à la main, Augustín fixait intensément ses partitions, étalées devant lui. Il avait son téléphone en haut parleur à côté de lui.

— Il faut que j'essaie de la draguer.

— Augustín, arrête. C'est inutile. Elle n'est pas de ce genre là, répliqua Elizabeth.

— J'y tiens. Pour pouvoir finaliser cette foutue chanson, il faut que je sache comment elle est, sans vêtements, dans l'intimité.

— Tu vas te prendre le pire râteau de ta vie, est-ce que tu en es conscient ?

— Je suis prêt. Ce n'est pas la première tigresse que j'aurais à affronter.

Elizabeth avait des choses à faire, et manquait cruellement de patience, alors ne se gêna pas pour raccrocher au nez de son cousin, qui soupira.

Muse...

Muse...

Non, ça n'allait pas. Cette histoire commençait à trop l'inspirer, c'était anormal. Si elle refusait ses avances, il abandonnerai cette idée stupide.

Tous les chemins mènent à toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant