Yuzu
Officiellement, tout allait bien : j'avais gagné les Jeux Olympiques (bien), à dix-neuf ans (très bien), en arrachant un nouveau record du monde pour le programme court (encore mieux), et j'étais le premier patineur à avoir cassé la barre des 100 points (que demander de plus ?). Pour conclure la saison, j'avais également gagné les championnats du monde pour affirmer ma position et mon retour au Japon pour la hors-saison avait été triomphal : cortège, encore des médailles, interviews, nouveaux sponsors affluant en masse, je n'avais plus su où donner de la tête...
C'était pour cela que j'avais un peu précipité mon départ au Canada, histoire de pouvoir respirer avant la prochaine saison qui s'annonçait musclée : je comptais bien reprendre l'or aux Mondiaux et ce n'était pas le genre de chose qui tombait du ciel. Voir ma plaque olympique et mondiale accrochée au mur m'avait motivé, mes nouveaux programmes aussi, mes nouveaux quads aussi, et toutes les ombres à ce magnifique tableau avait été balayées dès la première séance d'entraînement grâce à Javi. Presque toutes.Depuis qu'on avait recommencé, Javi avait été distrait, il était souvent en retard et ne semblait jamais à fond quelque soit l'exercice. Je savais que Brian et Tracy lui avaient parlé, je savais aussi que ça n'avait rien donné vu que son attitude n'avait absolument pas changé. En dehors de la glace il n'agissait pas différemment : il riait, discutait avec les membres du club, sortait le soir (peut-être un peu plus qu'avant) et il n'avait pas l'air "déprimé" au sens discriminatoirement strict. Pourtant il l'était, clairement, il n'y avait aucun doute à avoir : il tombait tellement sur ses quads que Brian essayait de ne plus le faire sauter...
Ce n'était pas étonnant, dans le sens où la dernière saison n'avait pas été tendre avec lui. Il avait poussé jusqu'aux Mondiaux, récolté la médaille de bronze, et avait presque immédiatement après disparu de la circulation pour retourner en Espagne. Il avait fuit tellement rapidement que je m'étais même inquiété de savoir si je le reverrais au TCC pour la prochaine saison... Dans tous les cas, même s'il était revenu s'entraîner, il n'était pas en forme : il n'aurait aucun résultat s'il continuait comme ça et ça ne ferait qu'empirer.-Javi ? Tu peux m'aider sur mon Donut spin ?
Il me jeta un regard rempli d'incompréhension et je répétai ma demande avec innocence. Nous savions tous les deux que les spins n'étaient pas du tout mon point faible et que ceux de Javi avaient pris la mauvaise habitude de voyager sur deux mètres depuis la reprise de l'entraînement...
-Je ne suis pas sûr d'être celui à qui tu devrais demander de l'aide Yuzu, grimaça-t-il.
-J'aime bien tes spins. S'il te plaît ?
Je lui fis de grands yeux suppliants et il finit par accepter (miraculeusement). Si nous avions eu n'importe quel autre coach ça ne serait sûrement pas passé, mais Brian donna immédiatement sa bénédiction en me laissant à peine terminer ma demande : il était merveilleux. On passa quasiment le reste de la séance là-dessus, reprenant à chaque fois qu'il avait un déplacement minuscule sur le spin. Ce n'était pas comme si je sacrifiais mon temps pour Javi : j'avais aussi besoin de les travailler de toute façon...
D'abord ce fut le Donut spin, puis le A-spin, puis le Camel spin et ainsi de suite, en rajoutant entrés et sorties stables, vérifiant minutieusement le temps de rotation et le nombre de tours. Je poussais Javi (dans le sens figuré du terme évidemment, il ne fallait pas exagérer) pour chaque spin, lui demandant de recommencer si la figure ne me convenait pas en argumentant que j'avais besoin d'un exemple parfait, puis une fois complétée je la faisais à mon tour jusqu'à ce que Javi valide. À la fin de la séance, nos spins étaient parfaits et ne voyageaient pas d'un millimètre : on avait poussé l'analyse jusqu'à utiliser un règle gracieusement fournie par notre coach pour mesurer les traces sur la glace. Est-ce que j'avais déjà dit que Brian était merveilleux ?
Peu importe si ça nous avait pris deux heures, j'étais prêt à passer en revue chaque figure jamais inventée dans le patinage artistique si ça signifiait récupérer le Javi de d'habitude. Personne n'avait le droit de me voler mon rival, même pas lui-même.

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Étreinte (V2)
DiversosCe n'est pas facile de gérer sa vie quand on est athlète de haut niveau. C'est encore moins facile quand il faut s'occuper de sa carrière et d'un autre athlète en même temps, sachant que ce dernier n'y met pas forcément de la bonne volonté. Ou : Jav...